L’identité numérique : « un saut quantique sans retour en arrière possible »

Virginie Joron vignette

Le 9 novembre dernier et presque en catimini, le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen ont trouvé un accord sur la mise en place d'un portefeuille numérique centralisant les données personnelles des citoyens de toute l'Europe. Nécessité de sécuriser les données ou traçage en règle, quelles seront les conséquences concrètes pour les citoyens européens ? Analyse et décryptage avec Virginie Joron, députée RN au Parlement européen.

Sabine de Villeroché. Que contient ce projet de portefeuille numérique européen, comment ça marche ?

Virginie Joron. Le portefeuille européen d'identité numérique est censé vous permettre de vous authentifier pour utiliser des services publics et privés en ligne. Pour justifier son projet d’identité numérique européenne, la Commission de Bruxelles a cité quatre exemples d’application : le permis de conduire, l'e-santé, les paiements et la reconnaissance de diplômes.

Qui a, aujourd'hui, un problème avec son permis de conduire ? Qui vous empêche de louer une voiture en Irlande ou aux États-Unis et de payer avec votre carte bancaire ? On voit que c'est un faux problème. Quant à la reconnaissance des diplômes à l'étranger, combien de Français sont concernés par cette situation ?

Par conséquent, la cible première des lobbyistes et de l'administration européenne semble concerner le dossier médical. À l’image des évolutions dans le secteur de la sécurité post 11 septembre 2001, les citoyens ont accepté, pendant la pandémie Covid-19, de nombreuses atteintes à leur vie privée, inimaginables il y a seulement quelques années. Et pour ne pas « perdre l’opportunité créée par une crise », l’acceptation de certains outils numériques obtenue lors de cette crise (QR code, outils de télétravail comme les téléconsultations médicales ou les signatures électroniques) est utilisée pour justifier un tournant vers l’accès, le transfert et la réutilisation des données intimes de santé à large échelle.

S. de V. Pourquoi vouloir mettre en place ce système ?

V. J. Je le vois dans les dossiers que l’on nous soumet au Parlement européen, de nombreuses activités de la Commission visent à partager nos données médicales et je trouve cela inquiétant. Pour nous, la protection du secret médical et la non-discrimination est un principe absolu.

C’est pourquoi je n’accepte pas de voir que les sanctions ont été si faibles à l’égard des géants de l’Internet quand des données personnelles de milliards de personnes ont fuité ou ont été piratées. Le texte sur l’identité numérique prévoit que les États membres pourront définir des sanctions et le chiffre de 1 % du chiffre d’affaires a été évoqué, mais nous serons attentifs à l’attitude du gouvernement. Ce projet rentre dans les ODD qui ont été définis en 2015 à l’ONU, les 17 « objectifs de développement durable à atteindre » avec comme outil la transition numérique.

S. de V. Y a-t-il un besoin urgent et réel de protéger nos données personnelles à l'échelon européen ?

V. J. Dans tous les rapports technologiques au Parlement européen, nous rappelons que les données personnelles devraient rester en Europe. Mais nous sommes presque les seuls à le dire. Regardez, encore, l’accord commercial avec la Nouvelle-Zélande voté cette semaine à Strasbourg : à chaque accord commercial, Bruxelles semble se préoccuper de partager nos données au monder entier. Les différents arrêts de la Cour de justice européenne à l’initiative de ce valeureux citoyen autrichien Maximilian Schrems (contre Safe Harbour en 2015, contre Privacy Shield en 2020) ne semble pas l’avoir découragée. À Davos, Emmanuel Macron a proclamé en 2021 ce même renoncement dans un souffle : « Qui peut prétendre être souverain face aux géants du numérique ? »

Je ne comprends pas que Microsoft soit la seule entreprise capable de gérer et partager les dossiers médicaux des Français. Le choix du gouvernement de créer un « Health data hub » via Microsoft ne nous semble pas sain. N'y avait-il aucune entreprise française ou européenne capable de le faire ? Que ce soit pour le cloud ou l'identité numérique, je préfère des solutions de « chez nous ». Je suis avec intérêt la solution portée par des acteurs français comme la Poste-Dassault-Bouygues (Docaposte) ou Scaleway/OVH. Ce choix de la souveraineté, de la sécurité, de l'autonomie française et européenne, nous sommes les seuls à les porter à Bruxelles.

S. de V. Quelles seront les conséquences concrètes de la mise en place d'un portefeuille d'identité numérique sur la vie quotidienne des individus ?

V. J. Pour ma part, je comprends évidemment les avantages du numérique. Cette option existe, déjà, d’ailleurs dans certains pays. Et je n'aurais aucune crainte dans le cadre d'un État respectueux de ses citoyens. Mais nous avons vécu pendant le Covid une dérive autoritaire de l'État sous le régime d'Emmanuel Macron et une bonne part des pays européens, à l'exception notable de la Suède. Le Canada a bloqué les comptes en banque de centaines de manifestants camionneurs en février 2022. La Corée du Sud aurait tracé ses citoyens sans les prévenir via leurs cartes bancaires et la vidéosurveillance. Nous devons malheureusement, en tant que responsables politiques, prendre acte de ces décisions. Des totems sont tombés : une partie de la population a été confinée puis discriminée sur des convictions qui se sont révélées éphémères, fausses ou trompeuses.

Le divorce possible entre démocratie et libéralisme n’est plus seulement un débat d’intellectuel. On constate l’effroi des élites de Bruxelles à Paris face à l’élection de Trump, face au Brexit, face au référendum de 2005 et face à la perspective de demander son avis au peuple.

Klaus Schwab, le président du Forum économique mondial de Davos, écrit, page 106 dans son livre sur la grande réinitialisation, que les trois concepts de démocratie, globalisation économique et souveraineté nationale sont irréconciliables et que seulement deux d’entre eux pourraient coexister. Entre État et démocratie, faudrait-il choisir ?

L'identité numérique nous fait basculer dans un autre modèle de société où un État totalitaire pourrait connaître totalement la vie d'une personne et en prendre le contrôle. Bruxelles nous fera-t-il, demain, la chasse au nom du CO2 ? On voit comment la Chine agit, aujourd'hui, avec l'application du crédit social. On peut imaginer que les dictatures soviétiques ne seraient peut-être pas tombées si elles avaient eu ces possibilités. L’identité numérique, c’est aussi le signe d'une tendance de la privatisation du monde de nos vies. Va-t-on confier un rôle régalien, l’authentification d’une personne privée, aux entreprises privées (Google...). Après l’ambassadeur auprès de Google, la carte d’identité Google ?

L’identité numérique, c’est un saut quantique, il n’y aura pas de retour en arrière possible. Cette identité numérique européenne est officiellement destinée à nous faciliter la vie. Plus besoin de carte d’identité, de carte bancaire, de carte de transports. Au départ, nous aurons un QR code sur un papier ou un téléphone portable qui sera scanné par un policier ou un agent de sécurité. Puis s’ouvrira « l’ère du marché des objets connectés » où nous disposerons de bracelets électroniques et montres connectées, que nous aurons juste à faire biper devant les bornes automatiques. Plus besoin de faire la queue, plus besoin de s’encombrer, un bip, on passe, et la vie continue.

Et l’étape d’après ? Un tatouage biométrique ? Une puce sous la peau ? Invisible, insensible, et collectant toutes nos données financières, fiscales, judiciaires et médicales.

Je note que le concept d'identifiant constant semble avoir disparu lors des négociations de trilogue entre le Conseil et le Parlement, ce qui était un risque persistant pour la sécurité en cas de rupture de la confidentialité en une unique occasion. Lisez les travaux de Shoshana Zuboff sur le capitalisme de surveillance : les sociétés et les gouvernements vont-ils nous connaître mieux que nous-mêmes ? L’Israélien Noah Harari prédit que la technologie de surveillance permettra de prédire et manipuler nos émotions : « Imaginez la Corée du Nord en 2030. »

Le portefeuille européen d’identité numérique crée une forme d’identification dont le symbolisme dépasse de loin son utilité purement technique.

Sabine de Villeroché
Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

Vos commentaires

26 commentaires

  1. Heureusement pour nous que des élus comme cette Femme politique de conviction française, veille et défende ardemment encore son peuple, notre pays, ses valeurs. Mais il doit vite s’inquiéter de la lâcheté des tous les autres nantis planqués à Bruxelles qui se plient vilement aux directives iniques , qui ânonnent benoitement à la sournoise de commission asservie à l’Allemagne et aux Etaux Unis…Les français doivent se réveiller et arrêter le plus rapidement cette fuite en avant instillée par notre gouvernement qui abandonne et vend à l’U.E. à la découpe nos libertés, notre citoyenneté.

  2. Merci Madame pour ces informations que vous êtes bien la seule via BV à nous transmettre. J’ai bien peur que les français ne se réveillent que lorsqu’il sera trop tard pour revenir en arrière. Oserais-je dire que je suis heureuse d’être à la fin de ma vie, et j’espère déjà partie, lorsque les méfaits de ce dernier échelon d’atteinte à nos libertés apparaîtront à l’ensemble des nouvelles générations

  3. Retour en arrière imposssible pour les seuls imbéciles qui se ruent sur ce genre de nouveautés que les abrutis au pouvoir présentent comme libérateurs… Mais retour en arrière possible dès que l’on aura liquidé l’UE.
    Qaund le pouvoir parle de liberté il s’agit de prison : liberté de s’enfermer à vie.

  4. Nous sommes en pleine dictature européenne et pas bien loin du thème du film Soleil Vert !!!
    A bas l’europe, Vive la Nation Française et un grand merci à Madame Virginie JORON pour votre analyse.

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