L’île d’Adolf, dans le Cotentin, vous connaissez ?
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Je reviens d’un voyage à l’île d’Aurigny, ce caillou de 5 km de long sur 3 km de large peuplé de 2.000 habitants, la plus au nord des îles Anglo-Normandes, à quelques encablures de la presqu’île du Cotentin. Aurigny a été envahie par les Allemands dès 1940, l’île ayant été préalablement vidée de tous ses habitants transférés sur le continent.
J’y ai découvert avec stupeur que cette île avait été un camp de concentration pendant l’occupation et que Hitler en personne l’avait baptisée « l’île Adolf ». Adolf Hitler voulait que cette petite île soit un symbole de la toute-puissance allemande et la fit cerner d’imposants bunkers. Pour les construire, il fallait donc « de la main d’œuvre ».
En 1942, la célèbre division Todt se chargea de l’organisation de ces camps de travail (quatre, en fait) et on y fit déporter des réfugiés espagnols, des Russes, des Polonais, des Tchèques, des Hollandais, des Juifs français livrés par Vichy et même des Chinois et des prostituées françaises chargées de « divertir » les soldats allemands...
En tout, 1.000 détenus furent transférés à Aurigny depuis l’Allemagne, de février 1943 à juin 1944 : 633 ont survécu.
Le tout était commandé par un dénommé List, qui se fit construire un chalet dans le style du nid d’aigle du Führer afin que l’homothétie de l’île Adolf avec « la vraie Allemagne » soit parfaite.
Les Allemands ont même modernisé la voie de chemin de fer, la seule qui existe dans les îles Anglo-Normandes !
Un poignant documentaire raconte l’histoire de ce camp oublié et inconnu, il est l’œuvre d’un déporté russe qui y a vécu l’enfer pendant un an.
Il n’est pas évident, pour le touriste lambda, de retrouver la trace de ces camps : seul un petit mémorial à la croisée d’une route témoigne de ces horreurs. On y trouve des plaques commémoratives en toutes les langues. Un habitant de l’île nous a indiqué que le monument était soigneusement entretenu et fleuri par des bénévoles. Lui-même était né en Écosse, là où ses parents avaient été évacués, et il était revenu vivre sur « son » île...
Une île aux paysages somptueux (même quand le temps n’est pas de la partie), une île où la toponymie fleure bon mon Cotentin natal : Les Venelles, Cotil du Val, La Bonne Terre, Colline de Tourgis…
Une île qui illustre parfaitement la profondeur des liens qui unissent les Normands à la Grande-Bretagne.
Plus généralement, il est étonnant de voir la matérialisation de tout ce que l’Europe a pu générer de pire, il y a 70 ans, dès lors que l’une de ses nations était dominante, même à l’échelle d’un si minuscule territoire.
À l’heure du Brexit, à l’heure où l’Histoire a « repassé le plat » puisque l’Allemagne domine à nouveau l’Europe, à l’heure où il est question que la France partage avec l’Allemagne son siège au Conseil de sécurité de l’ONU, je dois confesser un certain mal-être à l’issue de cette passionnante découverte… ou plutôt d’une réalité historique là, toute proche, mais qui a été cachée, voire niée.
Mais soyons optimistes : Mary Poppins, alias Julie Andrews, a vécu à Aurigny. Elle a pu, tranquillement, y nourrir les oiseaux (« feed the birds »), il y en a beaucoup. Et y imaginer La Mélodie du bonheur…
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