Livraison d’avions de chasse à l’Ukraine : l’engrenage fatal ?

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Après les chars, c’est désormais au tour des avions de chasse. La Pologne, qui se veut le leader d’une Europe atlantiste désinhibée, a annoncé, jeudi dernier, qu’elle livrerait prochainement un premier lot de quatre MiG-29 à Kiev. La Slovaquie a suivi le mouvement dès le lendemain en indiquant qu’elle céderait, pour sa part, les 13 modèles dont elle dispose.

Dans la presse française, on s’est immédiatement félicité de cette nouvelle escalade. L’audace polonaise allait exercer une pression supplémentaire sur les plus timorés qui finirait, comme pour les chars lourds, par entraîner tout le monde dans le sens de l’Histoire. Le problème étant toujours le même : la « vieille Europe » qui traîne des pieds. Les Allemands tergiversent et les Français finassent, comme à leur habitude, en invoquant, à propos de leurs vieux Mirage 2000, des problèmes de « faisabilité technique opérationnelle ».

La France et l’Allemagne, les « maillons faibles du continent », jugeait Isabelle Lasserre dans Le Figaro du 22 janvier dernier. Elle ajoutait qu’il y avait désormais deux camps, en Europe : « Le camp de la paix qui prône des négociations entre les deux parties, quitte à ce que l’Ukraine renonce provisoirement à une partie de ses territoires. Et le camp de la victoire qui considère que le seul moyen de rétablir la sécurité sur le continent est d’imposer une défaite militaire totale aux forces russes. »

Le « camp de la victoire », doux euphémisme pour ne pas dire celui de la guerre. Le 26 janvier dernier, le New York Times constatait que la guerre en Ukraine avait provoqué un transfert du pouvoir en Europe vers l'Est, « loin de la "vieille Europe", qui valorisait et cultivait ses liens avec Moscou ». La crise des chars avait donc permis d’accélérer la neutralisation des deux gêneurs, Berlin et Paris, jugés trop complaisants avec la Russie. L’escalade pouvait donc se poursuivre, et c’est bien ce à quoi nous assistons avec, à présent, la livraison d’avions de chasse.

Il faut en effet bien comprendre que, pour le camp belliciste, l’escalade est avant tout une stratégie de mobilisation et de pression permanentes exercée sur la coalition occidentale afin d’éviter sa dislocation en écartant toute tentation d’aller vers une solution négociée.

Dans cette affaire d’avions, les médias occidentaux ne se cachent même pas du fait que l’enjeu n’est pas militaire : une « étape symbolique » pour Le Figaro et un « tournant politique » pour L’Express, qui reconnaît que « face aux défenses antiaériennes de l’armée russe, dont la flotte a été plutôt préservée, ces envois ne constitueront pas un tournant stratégique ».

Début février, aux Etats-Unis, CNN rapportait que les demandes publiques de Kiev concernant la livraison de F-16 américains avaient été accueillies « avec scepticisme par les responsables américains et alliés » en raison des problèmes de formation des pilotes mais aussi parce que les systèmes anti-aériens russes pourraient facilement les abattre. Le média américain remarquait qu’il s’agissait surtout, pour Kiev, de maintenir une « pression publique suffisante ».

De son côté, l’administration Biden, jeudi dernier, a motivé son refus d’envoyer ses avions de combat F-16 au motif qu’ils n’étaient « pas nécessaires pour le combat en cours ». Cité par le Washington Post, le porte-parole de l'armée de l'air ukrainienne, Yuriy Ihnat, a lui-même suggéré que la livraison polonaise avait surtout une valeur symbolique et « psychologique ».

L’objectif de l’escalade et de sa médiatisation n'est-il pas, en réalité, de rendre le processus de confrontation irréversible ? Sur France Inter, le 26 janvier dernier, le journaliste Pierre Haski justifiait cette logique de l’« escalade permanente » : les Occidentaux sont allés trop loin pour envisager de reculer. « Depuis le début de l’invasion russe, il y a onze mois, chaque étape de l’escalade dans le type d’armement fourni à l’armée de Kiev a donné lieu aux mêmes hésitations, à des contradictions publiques, puis à la décision sous pression. Et ce n’est certainement pas la dernière fois », ajoutait-il. Nous le vérifions aujourd’hui.

C’est ainsi que petit à petit, pris au piège d’une stratégie d’engrenage, les Occidentaux se rapprochent d’une confrontation directe avec la Russie. Le 29 janvier dernier, l’amiral Rob Bauer, président du Comité militaire de l’OTAN, déclarait que l’Alliance était « prête » pour cela. Et ce dimanche, l’ambassadeur de Pologne en France, Jan Emeryk Rościszewski, a affirmé sur LCI que si l’Ukraine ne parvenait pas à défendre son indépendance, nous serions « obligés de rentrer dans le conflit ».

On se souvient, en octobre dernier, que David Petraeus, l’ancien général de l'armée américaine à la tête de la Force internationale en Afghanistan et ancien directeur de la CIA, avait évoqué dans les colonnes de L’Express l’hypothèse de l’engagement direct, en Ukraine, d’une « force multinationale dirigée par les États-Unis ». Une « coalition of the willing » (coalition de volontaires) évoquée outre-Atlantique qui permettrait de contourner la frilosité de certains membres de l’OTAN et de prendre appui sur ses éléments les plus bellicistes.

Quelques semaines plus tard, le vice-ministre de la Défense polonais, Marcin Ociepa, avait déclaré : « Quelle est la probabilité d'une guerre à laquelle nous participerons ? Très élevée. Trop élevée pour que nous ne traitions ce scénario que de manière hypothétique. »

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

81 commentaires

  1. Si la France était victime d’une agression, auriez-vous la même analyse ? Malheureusement, pour qu’une guerre éclate il suffit trop souvent de la volonté d’un seul homme. C’est le cas ici, comme durant la seconde guerre mondiale avec un même objectif d’épuration ethnique. Les démocratie contre les tyrans. Un éternel recommencement…

    Mais peut être que si vous aviez vécu en 1939 auriez vous fait un article pour ne pas déclarer la guerre après l’invasion de la Pologne ? Mais dans quel monde vivrions-nous aujourd’hui si personne n’avait arrêté Hitler ? J’ose même pas l’imaginer !!

    Pour notre futur, la vrai question: quelle serait les conséquences si la Russie en sortait gagnante de ce conflit (même au prix élevé) ? Si toutes les démocraties se couchaient face à un risque d’engrenage fatal ? Vous comprenez bien que ce scénario là n’accouchera certainement pas à un monde de paix et de prospérité. Bien au contraire…

    Ne nous y trompons pas, s’il y a une guerre terrible aujourd’hui sur le sol Européen c’est à cause de nos faiblesses. Face à Poutine, les démocraties se sont couché pour la Géorgie, la Syrie et l’Ukraine en 2014. On a donné un très mauvais signal. Celui que vous appelez de vos vœux…

    Dans ce conflit, les conséquences seraient dramatique en l’absence d’une vision sur le long terme…

  2. La question qui se pose: voulons-nous vivre en paix au sein d’une fédération d’états alliés  » de l’Atlantique à l’Oural », ou préférons-nous assister au renforcement d’une union russo-asiatique à notre détriment, assorti d’un risque de conflit catastrtophique?
    Les USA sont en pleine crise de civilisation, et ce qui fut l’Occident déchoit de jour en jour. La présence de dirigeants comme Biden, Trudeau, Macron et Zelensky en est la preuve, n’en déplaise à ceux qui font preuve d’une navrante absence de lucidité.

  3. Je n’aimerai pas me trouver aux commandes de l’un de ces quelques avions…..Il y aura une des plus grandes puissances militaires face à eux….avec je crois bien plus de 2 000 avions, plus autres grandes technologies…
    Si l’U.E. doit créer son Armée ce n’est certainement pas sous pression des U.S.A. et en pleine guerre qui leur profite en 1er. Donc la Paix d’abord. Sinon que les U.S.A. risquent leurs Pilotes en 1er….

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