[LIVRE] Insurrection des particularités, de Chantal Delsol

L’ouvrage aurait pu avoir pour titre « Le triomphe de l’idiot ». Pas au sens courant de stupide, mais plutôt dans son acception originelle qui désigne celui qui est seul, qui tourne autour de lui-même, comme l’explique Chantal Delsol, auteur de Insurrection des particularités, une somme de 320 pages qui vient de paraître aux Éditions du Cerf. Le titre, qui dit bien au passage la bêtise de notre société, formée désormais d’individus centrés uniquement sur eux-mêmes, leurs droits, leurs particularités, leurs revendications, et incapables de "faire société". Obsédé par lui-même, l’individu postmoderne se livre à une introspection permanente : « Suis-je homo ou hétéro ? Suis-je un homme ou une femme ? Suis-je suffisamment respecté ? Qui suis-je, en réalité ? »
Un tournant civilisationnel
L’ouvrage fait suite à un autre titre, Le Crépuscule de l’universel (Cerf), dans lequel la philosophe décrivait un tournant civilisationnel pour un Occident qui a perdu foi en l’universel.
Bâtie auparavant sur la sagesse grecque et sa foi dans une vérité universelle aujourd’hui récusée, notre civilisation a perdu ses repères et l’individu s’est recroquevillé sur lui-même. Difficile, en effet, pour lui d’appréhender le réel une fois banni l’universel et, avec lui, toute notion de vérité : comment imaginer connaître le monde si celui-ci n’est plus créé et régi par des lois mais construit selon la perception des individus ? Comment espérer et croire en la science quand on place sur le même plan les usages d’une tribu indienne et la médecine occidentale, fondée sur des siècles de découvertes scientifiques ?
La disparition de l’universel de nos sociétés a semé le doute et remis en cause toute idée de sciences. La vérité n’est plus à chercher, le réel n’est plus à connaître mais à déconstruire.
Le drame, c’est que la foi en l’universel avait été le ciment de nos sociétés : de l’universalisme chrétien à celui des Lumières, fondé sur le culte de la raison, elles s’étaient forgées sur une recherche de l’universel qui leur dictait des principes communs.
Aux yeux de nos contemporains, désormais, aucune vérité ne peut ni ne doit prendre le pas sur une autre, aucune hiérarchie de valeur ne peut être établie, sous peine de vexer ou de discriminer.
Sur quels fondements s’établit alors la société ? Sur quels critères fonder nos lois ? Seules restent les valeurs particulières de chaque individu. Une fois banni l’universel, le particulier surgit et règne en maître. Conçue autrefois comme un « art de vivre ensemble », « la politique devient la prise en compte d’une litanie d’identités, à chacune desquelles il faut offrir sa place au soleil ».
Reconnaissance des particularités militantes
Dépourvues des principes universels qui les fondaient – la philosophe cite la nature, la religion ou la tradition -, nos lois s’ancrent désormais sur des sentiments particuliers : « On va légaliser l’IVG par égard et compassion pour les femmes qui le demandent, sans que les anciens principes du respect de la vie soient pris en compte, décrit la philosophe. On va légaliser le suicide assisté par respect et compassion pour la volonté des mourants, biffant la mémoire des principes précédents qui mettaient en avant la religion ou d’autre morales. »
Et la démocratie n’est plus, désormais, l’expression de la souveraineté du peuple mais la reconnaissance des particularités militantes. Il n’est pas étonnant, dès lors, que le Parlement européen refuse de considérer la Hongrie comme une démocratie, elle qui n’accepte pas de voir ses lois dictées par des minorités et qui a interdit, en 2015, la promotion de l’homosexualité et de changement de sexe auprès des mineurs.
Le but n’est plus, désormais, de faire corps et d’assurer le bien commun, mais bien plutôt de se mettre à l’écoute de chaque particularité, de chaque minorité. Avec la disparition de l’universel se profile donc le triomphe du particulier, la tyrannie des minorités, le règne de l’idiot, et malheureusement, il n’y a pas de quoi rire.
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14 commentaires
Espérant que cette Chère Chantal Delsol lise ce commentaire je voudrais lui dire que j’ai beaucoup aimé et relu plusieurs fois son « Eloge de la singularité » et que par conséquent je suis curieux de savoir comment elle explique maintenant cet éloge de l’universalisme qui me paraît assez contradictoire avec la singularité. Si faute d’en parler avec Chantal je le ferai avec son frère, mon ami Jean-Philippe.
Triste, mais réel constat. Notre civilisation héritée du mariage de la sagesse Grecque, de la grandeur Romaine, de l’esprit de curiosité Gaulois et du message chrétien où l’on pouvait débattre de tout s’efface pour être bientôt remplacé par une autre où tout ceux qui ne se soumettrons pas à un texte seront traités en esclaves.
Reconnaissance de particularités justement caractérisées de militantes : en effet, la question ne réside pas dans leur caractère particulier…mais dans leurs velléités normatives…à la conquête de la planète ! Ainsi le « bien commun » devrait-il se confondre avec le wokisme…
« » se mettre à l’écoute de chaque particularité, de chaque minorité…. » » et ce jusqu’à l’individu, unique ! Qui, se voyant conférer droits et considération ( jusque dans les écoles, les prisons!) se prend pour « intelligent » et là, commence le règne de l’idiot. Bravo madame.
Merci pour l’info de la parution de ce livre , j’ai hate de le lire .
Il n’y a plus de » Conscience collective » c’est également mon constat .
Cette conscience collective était encore trés affirmée dans les années aprés la 2nd guerre mondiale , mais la diffusion des médias par la TV , téléphonie , Web a privilégié l’individu au détriment de l’esprit collectif .
Quand l’individu est proclamé roi, il faut s’attendre à la désintégration du commun… Nous payons encore et toujours les délires de mai 68.
Sûrement passionnant
À partir du moment où l’on n’est plus d’accord sur rien comment pourrait-on faire société ?!… Quand vous parlez d’art avec quelqu’un par exemple, de peinture, sculpture, musique, littérature, poésie et tutti quanti, et que vous exprimez vos préférences en disant que vous trouvez telle œuvre belle et telle autre moche, un certain type de personnes représentatives du relativisme contemporain, vont vous répondre illico presto : « qu’est-ce qui vous permet de dire ça, la beauté est un concept relatif, elle dépend des cultures, voire de l’idée que chacun en a », et si votre contradicteur a quelques lettres, il pourra terminer par une citation bien connue de Blaise Pascal dans l’espoir de vous clouer le bec : « Vérité en‑deçà des Pyrénées, erreur au‑delà ». Et c’est comme ça pour tout ou presque.
Cela s’appelle le relativisme qui tue la réalité.
Lorsque je sais être devant une personne telle que vous la décrivez, je commence bille en tête et je dis = « les goûts et les couleurs cela ne se discute pas, mais je puis vous dire que moi, je n’aime pas! Vous avez le droit de penser différemment » (ceci ou cela).
De fait, la personne ne peut pas me contrer.
Le bon sens, les gens normaux, ça doit pas exister,tout comme la civilisation
On a surtout perdu l,’imagination et le rêve pour nous sortir de cette perpétuelle diffusion d’information sans valeur.
Très juste !
Il semblerait bien, en effet, que sur le chemin de nos vies nous ayons trop de cartes en main qui nous indiquent moulte directions. De quoi nous perdre en quelque sorte. Avec trop de repères, souvent contradictoires, on s’égare sur la conduite à tenir d’où notre servitude à l’instantanée. Ce point de vue est très intéressant et le livre l’est certainement tout autant. ‘Insurrection des particularités’ est à lire assurément.