[LIVRE] Anatomie d’une cabale : la descente aux enfers de Samuel Paty

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« Vous pensez que vous, vous auriez compris ? Vous auriez quitté la ville, à sa place ? » Debout devant ses élèves, le professeur leur raconte l’histoire du chevalier de La Barre, arrêté et décapité pour profanation. Alors que ses compagnons d’outrages ont faire preuve de prudence et quitté la ville pour sauver leur tête, le chevalier de La Barre est resté en ville, sans imaginer le danger qui le menaçait. C’est sur cette scène de cours en apparence banale que s’ouvre la pièce Le Professeur (Éditions Albin Michel) d’Émilie Frèche. Nous sommes le jeudi 8 octobre et cette question anodine d’une élève va hanter le professeur pendant plus d’une semaine.

« Aucun de ses collègues ne compte dénoncer ce mensonge »

Ce récit théâtralisé est librement inspiré des huit derniers jours de la vie de Samuel Paty, nous avertit l’auteur. « Pour demeurer au plus près de son histoire, je me suis nourrie de […] mes échanges avec Mickaëlle Paty », raconte-t-elle. Car Mickaëlle Paty, en plus de connaître intimement Samuel Paty, a passé ces dernières années à enquêter sur les faillites et l’engrenage qui ont conduit à sa mort. Une enquête désormais couchée sur le papier dans Le Cours de monsieur Paty (Éditions Albin Michel), paru le 16 octobre 2024. Chacune à leur façon, chacune dans leur style, ces deux femmes reviennent sur la descente aux enfers du professeur de Conflans-Sainte-Honorine qui aura duré onze jours. Onze jours durant lesquels Samuel Paty aurait été calomnié, abandonné, menacé, pris pour cible et finalement décapité, le 16 octobre 2020.

Page après page, jour après jour, Mickaëlle Paty dissèque « l’anatomie d’une cabale » menée contre son frère. Samuel Paty n’a commis aucune erreur. Son cours, tel que publié dans le livre, suit les recommandations de l’Éducation nationale. À aucun moment il ne stigmatise les élèves selon leur religion. Comme le montre avec précision la chronologie retranscrite par Mickaëlle Paty, tout part du mensonge d’une élève, connue pour être turbulente. « Il est à noter qu’à ce stade [ le 9 octobre, soit cinq jours avant l’attentat, NDLR], tout le monde sait que Z. ment, puisqu’elle était absente le mardi 6 octobre [jour du cours de Samuel Paty sur "Être ou ne pas être Charlie", NDLR]. Il n’y a donc pas eu de discrimination à son encontre. Cette histoire est une pure fiction, et pourtant, aucun des collègues de mon frère ne compte dénoncer ce mensonge pour faire cesser la rumeur malfaisante », dénonce-t-elle. Pire, ajoute-t-elle, « la réalité administrative devient alors la suivante : Samuel Paty s’est rendu coupable d’une atteinte à la laïcité envers un groupe d’élèves ». En effet, dans la fiche « Faits établissement » remplie par la proviseure de l’établissement, Samuel Paty apparaît dans la case « auteur » de l’atteinte à la laïcité. Les élèves dans la case « victimes ». « Je ne m’explique pas ce choix, si ce n’est la volonté intériorisée, faite sienne, de l’institution de ne surtout pas froisser les islamistes », commente Mickaëlle Paty. S’ensuivront alors cinq jours durant lesquels Samuel Paty, menacé, vivra dans la terreur d’être attaqué à la sortie de l’école.

Un professeur terrorisé

« Je suis menacé par des islamistes […] Dix fois par jour, j’imagine qu’un type surgit comme ça, par-derrière, et me massacre à coups de couteau […] Faudrait que j’aie un couteau moi aussi. Mais le problème, c’est que je pourrais pas rentrer avec dans le collège, c’est interdit. Faudrait que je le cache, ou alors que je trouve une autre arme. » Une angoisse verbalisée par Émilie Frèche, dans sa pièce, qui nous fait réaliser l’état de terreur dans lequel vivait Samuel Paty, abandonné de tous ou presque, à la veille de son assassinat. Esseulé, il décidera de prendre dans son sac de cours un marteau, le marteau que son père lui avait offert pendant ses études… Une arme bien dérisoire face à un terroriste déterminé.

« Et vous, vous auriez quitté la ville, à sa place ? » Lui revient alors en tête cette question de son élève… « J’ai répondu que j’étais tenté de dire oui, mais que je ne savais pas. Eh bien, maintenant, je sais. Je peux dire que je suis comme le chevalier. Je reste là, je ne quitte pas la ville. Et je sais aussi pourquoi il ne l’a pas quittée. Il était comme moi. Il était terrifié. »

Le 16 octobre 2020, Samuel Paty est poignardé et décapité par un terroriste islamiste. Les collègues qui l’ont abandonné sont mutés ou promus, nous apprend Mickaëlle Paty. Et à la fin de la lecture résonne cette phrase de Mickaelle Paty, prononcée devant les sénateurs : « Le dernier condamné à mort pour blasphème en France n'est plus François-Jean Lefebvre de La Barre, exécuté en 1766 à Abbeville. C'est désormais Samuel Paty, exécuté en 2020 à Conflans-Sainte-Honorine. »

 

Deux livres à lire pour connaître les derniers jours de Samuel Paty.

Clémence de Longraye
Clémence de Longraye
Journaliste à BV

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