Livre : Anthropologie des petites choses, de François Pouillon

ANTHROPOLOGIE

C’est un abécédaire, poétique en diable, que cette Anthropologie des petites choses (tome 2) parue aux Éditions du Bord de l’eau, sous la plume de François Pouillon, directeur d’études à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), spécialiste du monde arabe. Je laisse aux spécialistes le soin de discuter du genre : mythologie barthienne, abécédaire deleuzien ? Dérive anthropologique ? Ce n’est pas tant la canonicité de la démarche, croisant réflexion théorique et expérience pratique, qui retiendra l’attention du lecteur profane que l’exotisme des choses familières, évoquées au fil des pages, les chemins de traverse Occident/Orient, un humour bien calé, sans « laisser-aller », comme le dit l’exergue de Beckett : « Pas de laisser-aller dans les petites choses. »

Toute enquête de terrain dessine un parcours biographique. Ici, celui d’un jeune homme dont la vie s’inscrit dans « un triangle des Bermudes » : Aix, Paris, la Méditerranée. La Méditerranée vécue et rêvée, étudiée sous toutes ses coutures, tel que la savourent, au fil des années, les « séminaristes » de l’EHESS dont je me plais à citer des noms : Sylvette Larzul, Casajus avec son arithmétique divinatoire, et notre chère Barbara Wright, spécialiste de Fromentin, qui vient de nous quitter.

Le chapitre intitulé Le Mythe des origines rend sensible, précisément, le basculement, à Valence, vers le Sud, avec les oliviers couleur d’armoise et le mistral burinant de bleu les Alpilles. Évoquant les caryatides des balcons aixois du Cours Mirabeau, François Pouillon tisse des liens entre les civilisations, ici avec les jalousies arabes, renvoyant au peintre orientaliste Dinet ainsi qu’au tableau célèbre de Manet : Le Balcon.

Au chapitre Feu, comment ne pas revoir le feu dévorant Sainte-Victoire et les Canadair tournoyant, en été, au-dessus de nos têtes, durant notre jeunesse ? Quant à Aix, une phrase suffit pour dire le remplacement du « centre désordonné de village » par un Centro Storico aux commerces de luxe. Au chapitre cézanien, Lumière, répond celui, charmant, des Saisons parisiennes. Le chapitre Piété fait surgir, avec l’Annonciation de Barthélemy d’Eyck, chef-d'œuvre de la Renaissance provençale, la place très italienne de la Madeleine, son église fermée, depuis 2006, pour combien de temps… pour cause de délabrement.

Le lecteur trouvera des chapitres savoureux consacrés aux siestes, au cinéma, aux tutus, à la mendicité, à la messe télévisée. Il pourra également penser à rien. Le chapitre Roulettes croque, lui, les patineuses de nos trottoirs parisiens et les caddies multipares.

François Pouillon est mon cousin à la mode provençale. On doit à son architecte de père un livre inspiré, Les Pierres sauvages, journal du maître d'œuvre du Thoronet, « alpha et oméga » de la création architecturale, que cite Bertrand de Feydeau dans son beau livre sur le collège cistercien des Bernardins. Ayant des idées différentes de l’auteur sur la colonisation, les civilisations, le burkini, je suis d’autant plus sensible aux résonances hexagonales de ce livre où je goûte le plaisir des lieux communs, partageant même avec l’auteur un ennui, jusque-là inavoué, pour les rêveries aquatiques de Bachelard. Et si l’exotisme n’était que le regard intérieur ? L’anthropologie, « les couleurs de nos souvenirs », pour reprendre un titre de Pastoureau ?

Marie-Hélène Verdier
Marie-Hélène Verdier
Agrégée de Lettres Classiques

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