[LIVRE] « Cœur » : Thibault de Montaigu ne tue pas le père… il le ressuscite !
4 minutes de lecture
Il y a quelques jours, nous avons entendu avec une émotion poignante la femme d’Éric Comyn, ce gendarme mort en service tué par un chauffard récidiviste, le désigner non seulement comme son époux mais aussi comme « le père de [leurs] enfants ». Un père mort en héros, auquel on rend un hommage national. C’est cette même perte héroïque, marquant à jamais une famille, qui est le centre du dernier roman de Thibault de Montaigu, Cœur, paru ce mois d’août aux Éditions Albin Michel.
Ce roman - si tant est qu’il s’agisse d’un roman -, c’est l’histoire de l’auteur qui, au chevet de son père mourant, s’engage à écrire la vie d’un aïeul, Louis de Montaigu, tombé héroïquement aux premiers feux de la Grande Guerre. Recherche et écriture, le roman autobiographique en devient un récit initiatique : l’auteur, en remontant le fil jusqu’à cet arrière-grand-père qu’aucun vivant n’a connu, part à la recherche du temps passé et du temps retrouvé, « tout être humain qui foule cette terre pour la première fois est déjà vieux de milliers d’années », écrit-il.
Une introspection généalogique
Ce livre est d’abord une enquête : une introspection et en même temps une recherche généalogique. Si l’auteur craint, en l’écrivant, de s’« enfermer dans une histoire, une famille, un passé qui ne passe jamais », il s’agit en réalité du contraire : chercher, enquêter, découvrir et connaître cette famille, cette chaîne de pères dont il représente avec son fils les derniers maillons le libère et le construit. En comparant son père à Œdipe, il en vient à la conclusion que son père, rendu aveugle par l’âge, a été puni comme le grec mythique d’avoir ignoré ses origines. En effet, comme l’auteur l’explique, « nos corps ne sont que des recombinaisons génétiques des corps qui nous ont précédés. De même pour nos âmes. Elles sont un amalgame - différent pour chacun - d’éléments qui ont déjà existé chez nos ancêtres. » Parce qu’il découvre de qui il vient, le narrateur sait qui il est.
Alors que la mode est à l’individualisme, aux jeunes prétentieux se revendiquant sans père ni mère, que le rôle du pater familias tend même à être effacé, Thibault de Montaigu montre et démontre à travers l’histoire de sa famille comment, loin de devoir les tuer pour exister, « les fils sont là pour continuer leur père ». L’élément déclencheur du récit réside dans la chevalière que son père, agonisant, lui confie : « C’est un miracle qu’elle soit encore dans la famille », parce qu’elle était portée, déjà, par ce grand-père colonel de cavalerie au doigt duquel elle était lorsqu’il est tombé, galopant vaillamment à la tête de ses hussards durant la dernière charge de cavalerie de l’Histoire de France. Et Thibault de Montaigu tire le fil : il remonte dans sa propre histoire familiale, mais aussi dans celle de tous les hommes : « […] je me demande si je ne poursuis pas inconsciemment le même idéal […] Et que tant d’autres encore qui nous ont précédés. Celui de chevalier. »
Qui est réellement cet homme, une fois détaché de la légende familiale ? Qu’a-t-il laissé ? Quel homme, quel mari, quel père était-il ? Qu’a-t-il transmis à son petit garçon de dix ans, décoré de la croix de guerre à sa place ? Qu’a-t-il légué aux générations qui sont venues après lui ?
L'Histoire s'hérite
Thibault de Montaigu estime que cette histoire lui a été offerte par son père sur son lit de mort : « Chaque fois que j’ouvrirai ces pages, je le retrouverai, comme si je tenais son cœur vivant entre mes mains », et comme le roman national l’est pour ceux qui partagent une patrie, le roman familial, en plus d’être le plus bel héritage que des parents puissent transmettre, est aussi un tuteur qui oblige et construit.
En expirant dans un hôpital de campagne, Louis de Montaigu avait murmuré, à l’adresse de sa femme : « Dites-lui que je suis mort en bon chrétien et en bon français. » Sa chevalière et ses mots ont conduit, plus d’un siècle plus tard, son arrière-petit-fils à perpétuer l’histoire familiale. Éric Comyn, mort alors qu’il portait l’uniforme et qu’il accomplissait son devoir, est, lui aussi, un chevalier, il laisse en héritage à ses deux enfants la fierté et l’honneur.
5 commentaires
Emouvant. » Les fils sont là pour continuer leur père » , phrase du roman / Je rajoute_ personnellement_ » les fils et les filles continuent leur père et leur mère » ). A part les wokisé.e.s qui nous font tant de mal.
Magnifique article , Madame , votre allusion à Eric Comyn me touche en tant que fils gendarme et m ‘évoque un flot de souvenirs de mon père. Merci beaucoup
Très bon témoignage d’un père à un autre père bravo Sybille.
Merci Sybille.
RESPECTS ..