[Livre] Développer le gouffre de Padirac, une saga familiale exemplaire

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L’histoire du gouffre de Padirac commence comme un film à suspense. Édouard-Alfred Martel, l’homme qui a exploré le premier et découvert les extraordinaires cavités rocheuses du gouffre, dans le département du Lot, en 1889, veut en faire profiter le grand public. Il imagine ce qu’on appellera plus tard le tourisme souterrain. Martel a monté un épais dossier d’investissement qu’il transporte dans une serviette, de rendez-vous en rendez-vous et d’investisseur potentiel en investisseur potentiel. En vain. Trop nouveau, trop ténébreux, trop risqué. Jusqu’à ce jour de 1897 où ce pionnier de la spéléologie oublie, dans un fiacre, sa fameuse serviette. Un drame pour cet homme exténué. À l’intérieur, tous les plans et les projets d’aménagement du site. Le voyageur suivant s’installe dans le fiacre, ouvre la serviette pour en connaître le propriétaire et… dévore son contenu. George Beamish, 50 ans, est un riche agent de change parisien d’origine irlandaise, impliqué dans une agence de publicité. Le défi l’enchante. Il deviendra le premier et le plus gros investisseur du gouffre.

Dans Les Secrets du gouffre de Padirac (Albin Michel, 21,90 euros), l'historien d'entreprise Tristan Gaston-Breton conte, depuis la découverte du lieu, l’aventure entrepreneuriale qui accompagne son ouverture au public jusqu’à aujourd’hui. Une histoire française de volonté, d’intelligence et de risques assumés. Le gouffre de Padirac est toujours, aujourd’hui, entre des mains familiales, après bien des rebondissements.

À la toute fin du XIXe siècle, le premier défi de Beamish et Martel consiste à acquérir les terrains, puis à aménager le gouffre et ses vastes cavités souterraines, la Cascade, le Grand Dôme, le Lac de la pluie, etc. : escaliers, lumières, débarcadère, bateaux nécessaires pour visiter ce trou naturel de 35 mètres de diamètre et 54 mètres de profondeur. Une première campagne de publicité suivie de beaucoup d’autres tentera de séduire les Parisiens et les Français amateurs de beauté naturelle grandiose et de frissons souterrains. Lorsque George Beamish meurt prématurément en 1898 à 51 ans, l’entreprise est sur les rails. Le gouffre bénéficie même d’un pavillon avantageux à l’Exposition universelle de 1900 et orchestre une publicité ambitieuse. Le nombre des visiteurs progresse, jusqu’à 13.000 en 1913. Mais la Première Guerre mondiale met un coup d’arrêt au développement touristique du gouffre. Il faut tout reconstruire. C’est un autre Beamish qui relève le défi. William, fils de George, a une trentaine d’années. Ce grand sportif, pionnier de l’aviation, héros de la guerre, relance l’affaire, avec une audace, un sens du détail et un acharnement exemplaires. Il va se battre contre l’administration, notamment, pour faciliter l’accès au site, ce qui prendra quelques… dizaines d’années. En 1938, Beamish a hissé la fréquentation du site à près de 100.000 visiteurs annuels. Il a réaménagé le gouffre et lancé à nouveau de vastes opérations de communication. La guerre, une fois encore, effondre tout l’édifice.

Le conflit de 39-45 n’a pas seulement tari les visites. Le Parti communiste a gagné une influence majeure en France qui retentit jusqu’à Padirac. Les gérants du gouffre vont affronter une série de grèves et de conflits sociaux inédits avec les guides sur place. Mais lorsque William Beamish meurt en 1969, à 80 ans, le gouffre est devenu une institution.

À la tête du gouffre à 36 ans après une période de flottements et de conflits familiaux, Laetitia de Ménibus, descendante directe des Beamish, relance la machine. Le gouffre multiplie les initiatives et accueille, désormais, 500.000 visiteurs annuels. Lors de la présentation de ce livre plein d’enseignements à plus d’un titre, Laetitia de Ménibus a un mot pour ses enfants, qui prolongeront peut-être la saga familiale.

L’histoire de cette PME pas comme les autres recèle ainsi une ode au courage, à l’intelligence et à l’esprit d’entreprise familiale, sur fond de site remarquable. À lire par ceux qui veulent créer, conduire et développer une entreprise, notamment dans le secteur culturel. Où l’on confirme que l’entrepreneuriat est un combat permanent, notamment contre l’administration française tracassière et paralysante, tout occupée à creuser un autre gouffre : celui du déficit public.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

6 commentaires

  1. En famille nous l’avons visité,une merveille,pas besoin d’aller à l’étranger,la France recèle suffisamment de lieux magnifiques.

  2. C’est curieux, cela faisait des années que je n’étais pas partie en vacances. Et justement, cet été j’ai visité ce merveilleux gouffre de Padirac en famille. Certes, il faut le dire, un effort supplémentaire pour les personnes à mobilité réduite serait à faire mais quoi qu’il en soit ce site est à découvrir ou à redécouvrir. C’est un lieu unique en son genre et l’organisation pour réguler le flux de l’entrée et de la sortie des visiteurs est à mettre au crédit de ceux qui en ont la charge. Magnifique !!!

  3.  » Une histoire française de volonté, d’intelligence et de risques assumés.L’histoire de cette PME pas comme les autres recèle ainsi une ode au courage, à l’intelligence et à l’esprit d’entreprise familiale, sur fond de site remarquable  » : tout est bien exprimé dans cette phrase qui prouve une fois de plus que la France et les français ont du talent , un savoir faire , de la volonté et du courage et surtotu qu’ils ont à coeur de garder leur patrimoine , leur culture et leurs racines . Merci à ces gens remarquables qui oeuvrent pour notre patrimoine , partout en France .

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