[LIVRE] Être une bourgeoise à Paris au Moyen Âge
À propos de nos ancêtres, de quelque époque qu'ils soient, nous sommes prisonniers de bien des croyances. Écrit en 1393, Le Mesnagier de Paris permet d’y remédier en ce qui concerne les bourgeois. Ce recueil a été rédigé par un homme d’âge mûr à destination de sa jeune épouse. Avec Vivre en bourgeoise au Moyen Âge (Les Belles Lettres), Karin Ueltschi présente aujourd’hui l’étude et la synthèse de ce précieux document qu’elle connaît bien : elle a en assuré la traduction et l’annotation dans la collection « Lettres gothiques » (Folio).
Qu’est-ce qu’un bourgeois, à la fin du XIVe siècle ? Ni noble, ni clerc, ni paysan, il n’appartient à aucun des états. Membre d’une classe urbaine émergente, qui fait son trou dans l’artisanat, le commerce ou l’administration, le bourgeois se définit essentiellement par l’honnêteté morale, la probité en affaires. Dans cette perspective, une considération maîtresse : l’honorabilité - et son dérivé inférieur, la peur du qu’en-dira-t-on.
À cette fin de tenir la maison, et donc leur rang, de façon irréprochable, le mari rédige cette œuvre composite - et mal ficelée : l’auteur n’est pas un écrivain. Contrairement au Journal d’un bourgeois de Paris (première partie du XVe siècle), volontiers tourné vers les événements politiques, le Mesnagier, comme son nom l’indique, est centré sur l’intérieur de « l’hôtel », avec sa cuisine, son jardin, sa basse-cour. Une petite ferme en ville.
Un manuel de vie pratique
Conseils moraux, économie domestique, jardinage, soins vétérinaires… Les aperçus sur la vie du temps sont nombreux. Les nombreuses recettes de cuisine nous révèlent, dans un chapitre auquel Karin Ueltschi donne un titre bachelardien, (« le cuit et le bouilli »), des goûts différents des nôtres mais, déjà, un art culinaire français. « L’essentiel des recettes est consacré à des plats simples, avec cette remarquable particularité du recyclage presque infini : on ne jette rien, on transforme au besoin », commente-t-elle. Il y en a pour tous les goûts : le blanc-manger de chapon, la langue de bœuf à la cameline, le mouton rôti au sel fin, verjus et vinaigre - ou, plus rustiques, les testicules de cerf qu’on fait bouillir et qu’on sert en sauce.
La gouvernance des domestiques comporte bien des aspects : embaucher, fixer le salaire, distribuer les tâches, déléguer, contrôler, réprimander mais avec mesure. C’est du management avant la lettre, à taille humaine : il faut, aussi, bien nourrir les domestiques, les soigner s’ils sont malades. La société du « care », du soin à l’autre, n’a pas été inventée par nos modernes progressistes. Le bourgeois donne à son épouse ce conseil à propos des animaux : « Ils ne peuvent parler, vous devez donc parler et penser pour eux à partir du moment où vous en avez. » Une sollicitude loin des clichés.
Patriarcal, le bourge ? Que nenni !
À en croire nos modernes féministes, la société occidentale serait patriarcale et sexiste. Le Mesnagier de Paris infirme cette vision sans nuances. On y trouve les accents misogynes de toute une littérature de lieux communs pour qui la femme est bavarde, indiscrète, tentatrice - « fille d’Ève », en somme. Mais ils sont battus en brèche par des accents plus personnels, par l’affection respectueuse de ce mari auteur qui « veille presque avec anxiété, écrit Karin Ueltschi, sur ce qui ne s’appelle alors pas encore l’égalité entre les sexes ». Et une bonne épouse, en fin de compte, dirige le couple : « Les rôles du “commandement” se sont ainsi inversés sous la plume du Bourgeois ».
Le Mesnagier s’épanche peu. Il faut lire entre les lignes. Pragmatique, pondéré, prudent : voilà le « bourgeois » qui se dessine. Des qualités qui deviendront des défauts caricaturaux au XIXe siècle (les « petits bourgeois » balzaciens) ou au XXIe (« les bobos »). Le mot bourgeois a pris des connotations dépréciatives diverses. On lui préférera, pour désigner ces gens du XIVe, des mots du temps qui ont de la noblesse : prudhomme et prudefemme, ce que cherchèrent à être cet auteur et son épouse.
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9 commentaires
C’est parfait d’apprendre ce qui était des bourgeois au XIV siècle cela nous apprend qui nous sommes actuellement et qui étaient des bourgeois pourquoi ont les appelaient ainsi,par leur travail comme artisant leur amour du savoir faire comme en cuisine avec des plats simple et une très bonne et belle épouse beaucoup de personnes ce reconnaitront dans ce récit,merci
Je vais offrir ce livre à mon fils qui pense que la Bourgeoisie se résume à la définition de Karl Marx : le Bourgeois est propriétaire des moyens de productions versus la « classe ouvrière » qui ne possède rien et ne vend que sa force de travail. Et dire que cette vision du « Bourgeois » est enseignée dans nos facultés depuis des lustres….
au XXIe (« les bobos »).
Mon père me disait : « les bobos bourgeois bohèmes sont des personnes qui veulent pé..r plus haut que leur c.l. Ils s’y croient, mais ne sont que des parvenus mal élevés. On doit reconnaître un sang bleu même s’il porte des bottes et nettoie les écuries, par sa façon de se tenir debout, par son parler. » Certes il parlait de notre temps, du XXIeme siècle, avec des regrets pour l’ancien temps.
J’ai toujours été élevée avec la haine de la révolution, qui a tué moult personnes de la noblesse, petite noblesse, haute et petite bourgeoisie par jalousie, sachant qu’il y a des personnes infectes dans toutes les classes de la société, mais pas dans une seule classe de la société et que nombre de personnes ayant soit disant des privilèges, en donnaient une partie à leurs serviteurs et aux nécessiteux, par amour du prochain.
Très bonnes informations
Les enluminures anciennes relatant la vie au Moyen Age nous montrent des couples travailleurs et respectueux des traditions du pays et de l’époque, l’amour courtois était de mise et les femmes admirées pour leur beauté et aussi leur savoir…..qu’en est il aujourd’hui ? le procès de Mazan nous fait découvrir des hommes sans morale plus bêtes qu’hommes dont les codes relèvent davantage du cheptel.
Le « bourgeois » avait les « codes ». Ceux qui aujourd’hui ne les ont pas sont la classe « petite-bourgeoise », ces bobos, ces parvenus qui se croient aristocrates, classe très majoritaire, gouvernante car répandue dans toute la société, ceux dont Proust se moquait sans aucune pitié, et qui a placé son archétype à l’Elysée.
L’honorabilité, ce que chaque honnête personne recherche, n’est pas un long chemin tranquille mais il vaut la peine de le suivre.
Je ne suis pas issu de la bourgeoisie, mais j’apprécie le savoir-être de la bourgeoisie traditionnelle, celui qu’on a voulu déconstruire y compris par les bourgeois eux-mêmes. Vu de l’extérieur, je pense qu’aujourd’hui la bourgeoisie a subi le même déclassement que d’autres catégories socioprofessionnelles, et ils ont été remplacés par une caste d’arrivistes, enrichis grâce à leurs postes de cadre de la fonction publique, ou d’autres petits businessmans qui ont réussi leur « trading », ceux pour qui l’argent est devenu religion. Et ce n’est pas un hasard si ceux-là qui ont échoué, à l’instar de Jérôme Kerviel, se sont reconstruits avec la foi traditionnelle de l’Église.
Je ne puis que souscrire à ce témoignage. Moi-même issu du petit peuple des besogneux indépendants à qui les prélèvements sociaux ont empêché d’acquérir le moindre patrimoine, j’ai toujours admiré ceux qui suivaient les codes d’une réelle aristocratie. Je suis très reconnaissant à mon épouse, elle-même issue d’une famille modeste, catholique pratiquante, pour ce qu’elle a apporté à notre foyer en mettant notamment en pratique auprès de nos enfants les vertus du scoutisme. Où trouver ce genre de conjoint solide aujourd’hui ?