Livre : La force de l’imaginaire, contre les bien-pensants, de Michel Maffesoli
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Le logos victorieux du mythos : voilà un mythe qui perdure ! Pourtant, nous dit Heidegger, le logos n’a jamais complètement remplacé le mythos (1).
Michel Maffesoli, à la suite d’Heidegger qui promettait un "saut dans la pensée", invite le lecteur à un grand saut dans les eaux mouvementées, fertiles et parfois violentes, de l’imaginaire. Le propos, ici, est double, puisque entre la reprise de son "unique idée" au travers de ses grandes analyses sur la postmodernité – ce qu’elle est, en quoi elle se distingue de la modernité – Maffesoli peint avec beaucoup de vigueur et d’acidité le portrait, à valeur d’exemple, des "bien-pensants" de notre époque et de leur imaginaire rien moins que "tribal", quoi qu’ils en disent.
À la façon d’un Kierkegaard voyant dans la société installée de son temps, dans son christianisme mou et sentimental, un "verbiage du cœur", une "médiocrité confite en sucrerie" au nez de laquelle il convient d’éclater d’un grand rire, Maffesoli fait le détail des dogmes et des habitus de cette intelligentsia ayant pouvoir de dire : journalistes, enseignants-chercheurs reprenant en chœur les litanies modernes. Ces braves gens, singulièrement incommodés par un peuple indocile, ne sont pas avares de lumières à lui donner et de guidance à pourvoir. "Tâcherons", "larrons" : Maffesoli n’a pas de mots assez durs pour se prendre de querelle avec ces pseudo-intellectuels pétris d’une forme "d’archéo-marxisme" qui les rend incapables de dire, face à un réel qu’au fond ils méprisent et craignent, autre chose que ce qu’ils préféreraient qu’il soit.
Face à cela, Michel Maffesoli donne les grandes lignes du paradigme qui doit être celui du "penseur authentique" : « empathie émotionnelle » et "cognitive", une « éthique de l’esthétique », une "raison sensible" qu’il a défendues dans de précédents ouvrages.
Contre l’analyse qui dissèque ad infinitum, il s’agirait au contraire, comme le poète, d’être d’abord parmi "ceux qui écoutent, attentivement, les bruits de la terre" (2). Il s’agit, ensuite, d’exercer son pouvoir de compréhension, que Nicolas de Cuse appelait "intellection", pour s’efforcer de saisir ce "mouvement de connexion amoureuse" qui "porte toute les choses vers l’unité".
Image, imagination, imaginaire : à la suite de son maître Gilbert Durand, Michel Maffesoli nous invite à accueillir cette grande fertilité du mythos. Loin de l’image, justement, évaporée et lointaine que lui donne la modernité, l’imaginaire exerce un véritable pouvoir "d’incarnation". Il permet de réconcilier la pensée avec l’ordre du monde.
"On ne s’adresse toujours qu’à quelques-uns. À ceux, on ne se lassera pas de le dire et de le redire, qui tentent de ne point être des esprits asservis", écrit Maffesoli. Dans cette perspective rien moins qu’initiatique, il est une image qu’il aime de reprendre, tirée de La République de Platon, 521 : l’image de "l’huître", qu’il convient de "retourner". Cette métaphore exprime la conversion mentale à opérer pour parvenir à "se purger de ses certitudes, s’éveiller à ce qui est réel". Conduire les hommes vers la lumière, nous dit Platon, ce n’est pas "comme le retournement d’une coquille d’huître au jeu" (d’autres traductions ont : "un simple tour de palet"), "mais bien la conversion d’une âme, qui laisse derrière elle un jour mêlé de nuit, pour aller vers un jour véritable" (3).
Reste au lecteur le soin de ramasser, à présent, l’objet et de déchiffrer, s’il le peut, l’invitation à penser librement gravée dans sa nacre.
1 Qu’appelle-t-on penser ?, PUF, 1959, p. 31, 47.
2 Villiers de l’Isle-Adam, Vox populi, Contes cruels.
3 La République, Garnier Flammarion, traduction de Georges Leroux.
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