[LIVRE] Les Obsessions bourgeoises, une réécriture des « Illusions perdues »

Couverture Madeleine Métayer

Les Obsessions bourgeoises, le second roman de Madeleine Meteyer, rejoue la comédie humaine entre enquête policière et quête de reconnaissance sociale.

« Dans beaucoup de choix de vie, il est difficile de savoir la part de la réaction contre et de l’inclination pour », expliquait Bourdieu, et ainsi pourrait-on résumer le second roman de Madeleine Metyer, Les Obsessions bourgeoises, paru aux Éditions JC Lattès en mars 2024. L’histoire fictive, mais ô combien réaliste, de Servane, jeune fille de la classe moyenne, on ne peut plus banale, débarquant avec ses ballerines « qui bâillent sur les côtés » dans le très chic lycée parisien Sainte-Geneviève. Commence alors pour elle la poursuite d’un rêve, l’illusion qu’un jour elle sera de ce monde-là. Adopter les codes, l’attitude, les goûts, elle n’aspire plus qu’à une chose : être leurs pairs. Servane n’est qu’une adolescente, elle veut être comme ces autres qu’elle côtoie et qu’elle idéalise.

Un roman d'initiation

Madeleine Meteyer nous livre d’abord ici un roman d’initiation, parce que la pauvre Servane apprendra à ses dépens qu’on n’échappe pas à son milieu, qu’elle pourra toujours courir, absorber et intégrer les habitus de ces riches familles parisiennes naviguant entre le XVIe et le VIe arrondissement qui portent des sacs valant « 15,5 fois le SMIC », qui sont contre « la colère et le populisme » et pensent qu’il ne faut « pas faire voter les débiles », elle ne sera jamais vraiment des leurs ; elle l’aînée d’une famille nombreuse de Viroflay dont les parents hésitent à acheter de la viande quatre fois par semaine et qui va à la messe le dimanche. Un roman d’initiation, donc, qui mériterait sans doute d’être glissé entre les mains de nombreux adolescents. Le récit satirique d’une jeunesse qui se cherche sous le regard tantôt aveugle tantôt candide tantôt absent de leurs parents. Une jeunesse huppée, instruite dans un très chic et élitiste lycée, persuadée de sa grande valeur, imbue de son milieu mais qui, dans l’avenir qui leur paraît ampli de promesses, « ne laisser[a] pas de traces si importantes ». Glissé aussi entre les mains des parents, qui pourraient tout aussi bien lire ce livre décrivant les soirées de cette jeunesse privilégiée où l’« on beugle pour s’entendre parler. Baskets, casquettes, capuche, les garçons ressemblent à des mineurs isolés de Barbès. Seulement, leurs trombines sont blanches et sages. » Une initiation, donc, à travers la quête illusoire de Servane, mais une initiation satirique aussi pour le lecteur à travers le tableau assez réaliste d’une jeunesse prétendument dorée. Si l’on n’avait pas peur du parallèle, on pourrait même évoquer une réécriture des « Illusions perdues » balzaciennes à la sauce XXIe siècle.

Une enquête policière et sociologique

Mais Les Obsessions bourgeoises, c’est aussi un roman policier qui empêche le récit de tomber tout à fait dans le roman social. Un policier, parce que la désillusion viendra, pour Servane, du vol d’un vase Lalique lors d’une soirée comme elle en a connu tant et dont elle sera aussitôt la suspecte principale pour tous ses « amis ». « Tout le monde pensait que c’était toi », lui assènera l’une d’entre elles, et ce sera pire pour Servane que d’être réellement coupable. Plus que du suspense, c’est une certitude pour le lecteur qui est lui aussi pris comme juge dans cette affaire. Juge et parti, puisque le lecteur est bien souvent plongé dans les pensées désordonnées de la pauvre Servane, moins héroïne que victime de ses illusions et de sa quête. « Si vous retirez de l'homme ce qui est illusoire, vous retirez tout ce qui est humain », écrit André Comte-Sponville. Et Servane est humaine, tout comme la bande à laquelle elle pense appartenir. Servane veut à tout prix appartenir à ce sérail de la grande bourgeoisie parisienne, et pour cela, elle doit posséder…

Une enquête policière et sociologique intemporelle : la comédie humaine se rejoue au XXIe siècle comme au XIXe, nantis contre ceux qui le sont moins, parisiens contre provinciaux, drapés de leurs grandes idées humanistes, les bourgeois jugent comme autrefois ceux qui ne leur ressemblent pas.

À travers son récit très réaliste, tant pour la profondeur et le désordre de ces personnages que pour l’histoire qu’un narrateur délicieusement cynique nous livre, Madeleine Meteyer emmène son lecteur par des passages incessants du passé au présent dans la relecture de l’histoire de Servane. Comment est-elle devenue un miroir aux alouettes, une simple illusion de ce qu’elle voudrait être ?

Servane tient un peu d’Athalie, l’héroïne tragique qui suscite terreur et pitié, tient beaucoup du Candide de Voltaire par sa quête naïve et un peu, encore, du comte de Monte-Cristo. Mais pour cela, le lecteur devra ouvrir le livre.

Vos commentaires

4 commentaires

  1. Compte tenu de la rapidité de transformation de notre société, les malheureux issus de cette jeunesse « dorée » auront bientôt la brutale révélation d’une réalité à laquelle ils ne sauront faire face …Pas trop envie de les plaindre.

  2. Cette citation que nous rapporte Ephata résume bien ce monde fragile « Cette “upper class”, qui a voté Macron, croit, comme le disait si bien Talleyrand “devenir sourde quand elle n’entend plus parler d’elle” ! . Ajoutons, ouvrons la porte du paraître derrière laquelle elle se réfugie, dans bien des cas nous tombons dans le vide.

  3. Il y avait déjà une description savoureuse des parents dans l’excellent livre de Pierre Assouline « les invités ».
    Cette « upper class », qui a voté Macron, croit, comme le disait si bien Talleyrand « devenir sourde quand elle n’entend plus parler d’elle » ! Leur manque d’humilité explique bien des choses sur la situation actuelle de la France !

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