[L’ÉTÉ BV] [LIVRES] Les Yeux de Mona… ou le regard de Greta ?
5 minutes de lecture
À l'occasion de l'été, BV vous propose de redécouvrir des livres qui ont marqué l'année écoulée. Aujourd'hui, Les Yeux de Mona de Thomas Schlesser.
À l’heure où nos enfants ne lisent plus, où leur temps de concentration s’amenuise dangereusement et où les conséquences dramatiques de leur présence devant les écrans passe de cause parentale à cause nationale, tout ce qui peut encourager à leur mettre - et à nous mettre - un livre entre les mains est d’intérêt public !
De ce point de vue, il faut se réjouir du succès de librairie inattendu et fulgurant du livre du moment, en tête des ventes, des gondoles et des devantures depuis plusieurs semaines : Les Yeux de Mona, de Thomas Schlesser, investi lui-même dans le milieu muséal et artistique.
L’histoire originale est celui d’une jeune fille dont on craint qu’elle perde la vue. Amateur d’art éclairé, son grand-père prend les choses en main, et nous avec, en lui proposant chaque mercredi la découverte intime et approfondie des œuvres d’art de trois grands musées parisiens couvrant la chronologie de l’expression artistique : le Louvre, le musée d’Orsay et le centre Pompidou. Ainsi, en un an, ce sont 52 œuvres, une par semaine, devant lesquelles Mona et son grand-père vont nous apprendre à voir, à décrire et décrypter une histoire de l’art inédite et instructive, entrant dans le secret des ateliers, dans la recherche de la beauté à travers les époques, dans l’intimité de l’inspiration des artistes, dont on ressort l’esprit plus ouvert et l’œil plus aiguisé.
Au-delà de l’intuition et de la construction d’un récit bien enlevé et aisé à lire - avec la répétition de courts chapitres mêlant à chaque fois l’intrigue, la description du tableau et le dialogue critique du grand-père et de sa petite fille sur le contexte et l’analyse de l’œuvre -, pourquoi un tel phénomène d’édition ? Le libraire vendéen qui nous renseigne salue malicieusement, sans dénier l’intérêt du livre, la qualité de l’emballage d’un éditeur à succès : les ingrédients commerciaux sont tous là. Sur le bandeau : « Le roman français qui a conquis le monde. » La promesse : « Une initiation à la beauté et à la vie de 52 chefs-d’œuvre. » Au dos, ce petit plus qu’on a envie de déballer : « Retrouvez les 52 chefs-d’œuvre à l’intérieur de la jaquette dépliable. » Et en couverture, ce regard perçant de la jeune fille à la perle, et ce nom, Mona, deux évocations reconnaissables qui interpellent. Puis le thème : une visite secrète au musée, aux airs de Da Vinci Code, un roman initiatique et intergénérationnel, une séance d’art-thérapie dans une société en quête de guérison et de développement personnel… Autant d’ingrédients qui promettent déjà une adaptation en film, une édition illustrée, et des publications « que le monde de l’édition s’arrache » dans toutes les langues !
Quelques ombres au tableau
Voilà de quoi se réjouir, donc. Mais puisque l’auteur nous a appris, au terme de ce parcours, à nous faire critique d’art et à comprendre les ressorts du clair-obscur, notons quelques ombres au tableau.
On regrettera d’abord une peinture familiale morne : si la relation du grand-père et de sa petite-fille est touchante, elle s’extrait d’un contexte dans lequel les parents, Camille et Paul (comme les Claudel), apparaissent comme des ombres évanescentes, subissant leur sort, sans joie ni entrain, comme éteints.
Puis Mona elle-même peine à susciter l’empathie : distante des enfants de son âge, solitaire, introvertie, se révélant géniale, elle incarne assez bien ces enfants à haut potentiel tenant conversation voire leçon aux adultes, qu’on adule aujourd’hui mais dont on regrette que l’intelligence relationnelle soit totalement absente. De ce point de vue, « Les Yeux de Greta » aurait pu servir de titre…
La psychanalyse finit par prendre une place croissante dans le récit de cette enfant perturbée, à la recherche de l’origine de ses troubles. Le problème est de découvrir que le parcours artistique subit le même sort : à mesure que l’expression artistique se fait plus déconstruite, la psychologisation de l’artiste se fait croissante : et c’est, au fil des pages, moins la beauté de l’œuvre qui ressort de notre initiation à l’art que les tourments des artistes et de leur acte créatif.
On relèvera un paradoxe, qui n’est pas que celui du livre mais celui de l’histoire de l’art : alors qu’on devrait aller vers plus de lumière et de couleur, ou vers la lumière qui jaillit de l’ombre et qui fait l’essence même de la peinture, c’est vers le noir, l’outrenoir et l’affirmation que « le noir est une couleur » que nous glissons inexorablement. Mais alors, à quoi bon recouvrer la vue si tout, autour, s’est assombri ?
De l'euthanasie considérée comme un des beaux-arts ?
Le dernier grand regret est celui d’un constat : on pensait, avec l’art, emprunter un autre chemin que celui lourdement appuyé des pétitions idéologiques et questions sociétales du moment. Las : la défunte grand-mère de Mona, celle qui lui parle au cœur et lui trace la voie, cette « femme combative », s’avère être catholique fervente et, sans apparente contradiction, une non moins fervente partisane de l’euthanasie, cet acte « courageux » qu’elle aura promu toute sa vie et pratiqué sur elle-même, voyant sa mémoire lui fuir… Un secret familial enfin dévoilé, mais qui laisse ce goût amer qui traverse l’histoire de cette famille et de cet enfant. Et explique cette impression… « soleil couchant » qui pèse à la fin du livre.
Une impression qui suscite une envie : dans le clair-obscur qui est l’autre nom de la vie, aller chercher la couleur, revoir poindre la lumière ; reprendre la visite, mais dans l’autre sens, comme une histoire de l’art à contre-courant ; partir de Beaubourg, puis gagner Orsay et rejoindre le Louvre, où nous attend Botticelli, dans la lumière d’un premier rendez-vous… Et, avec lui, la Renaissance que l’on n'aura jamais autant été heureux de retrouver !
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7 commentaires
Très jolie description et analyse, Iris !
Pourquoi vouloir toujours aller vers le misérabilisme, vers le néant ? Vous avez parfaitement raison, c’est l’opération inverse qu’il faudrait magnifier.
A quelle génération appartient l’auteur? Là est l’explication de vos réserves. A lire tout de même.
Superbe texte, superbe analyse, merci Iris.
Un bouquin que je prendrai le temps de lire … en Français de préférence si possible.
Je ne le lirai pas
A lire…