Livre : L’homme qui n’avait pas de père. Le dossier Jésus, d’Alain de Benoist
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D’abord le titre, qui est à lui seul un sujet de glose. Sa signification peut être aussi bien la marque d’un acte de foi que d’une provocation athée, sinon païenne. Dans un premier sens, Jésus est effectivement dépourvu de père biologique, sa conception relevant d’une intervention de l’Esprit de Dieu, une telle assertion impliquant d’y croire dans la mesure où elle défie tout entendement rationnel. La seconde hypothèse témoigne d’une dénégation qui ferait de Jésus, sinon une légende, à tout le moins une imposture ou un charlatanisme théologique.
Mais là serait le piège, l’alternative éventuellement suggérée par le titre de ce monumental essai (964 pages in-octavo) étant rigoureusement trompeuse. Optant pour une démarche littéralement universitaire, l’auteur ne se propose rien de moins que de contribuer à la « quête » – ainsi qu’on dénomme la recherche en ce domaine – sur l’identité, les origines et la vie de Jésus, ce « Jésus de l’Histoire » qu’une approche purement scientifique oblige à dissocier du « Jésus de la foi ». Benoist prévient : son dessein n’est guère de convaincre les indécis ou les athées, et encore moins de combattre les croyants.
Dès l’introduction, l’essayiste semble presque rendre les armes : « La vérité est que d’un côté on ne sait presque rien d’assuré sur Jésus, et que de l’autre sa vie a été enjolivée jusqu’à la surcharge par des milliers de croyances, de traditions légendaires et de dogmes qui ont fini par obscurcir la réalité. » L’on répondra que le Fils de L’Homme n’est pas un sujet d’étude comme les autres et que l’on devrait plutôt voir dans les milliers d’incertitudes historiques qui l’entourent le signe d’une incommensurabilité d’essence… divine. Mais parce que, précisément, l’historien doit fermement s’extraire de toute enveloppe fidéiste pour demeurer sur le sol rationnel de la science, celui-ci se confronte à une aporie : cerner Jésus dans un cadre temporel en faisant abstraction de ce qui relève du « mystère » théologique. Or, jusqu’à quel point le chercheur doit-il s’affranchir de tout recours au divin pour expliquer historiquement – sinon prosaïquement – l’homme Jésus ?
À l’instar de nombre de ses prédécesseurs, Benoist ne parvient guère – et pour cause, serait-on tenté d’affirmer, tant il nous paraît proprement impossible de séparer, selon une incontestable démarcation, le fils de Marie du Fils de Dieu – à faire l’économie de légitimes interrogations quant à la dimension extra-humaine de Jésus. Il en va ainsi, par exemple – l’auteur ne s’y dérobe point et l’on peut même ajouter qu’il se saisit du dossier avec un certain courage –, de la naissance de Jésus. Ayant d’abord remarqué que seuls les évangiles de Luc et de Matthieu – « et uniquement dans leurs prologues » – traitaient de la conception et de sa venue au monde, l’auteur signale ensuite que le silence prévaut, de Paul aux évangiles de Jean et Marc, sur la naissance miraculeuse du Crucifié autant que sur sa conception virginale. Si ce mystère ne remet pas en cause la doctrine de la divinité de Jésus, il suscite des interrogations quant au moment de son établissement comme Fils de Dieu (naissance, baptême, résurrection ?). Plus troublant encore, le statut de mamzer – mot hébreux signifiant « illégitime » – qui plongerait l’homme de Nazareth, engendré de Marie (tel que l’enseigne le Credo et confirmé dans le Coran) et non point fruit d’une copula carnalis, dans un halo d’opacité quant à ses origines.
Servi par une impressionnante connaissance des sources profanes et religieuses, Benoist, en encyclopédiste scrupuleux, revisite après bien d’autres, de Renan à Jean-Christian Petitfils, ce totem du christianisme sans rien laisser dans l’ombre, des évangiles apocryphes au symbolisme de la croix, de la personnalité de Joseph au ministère public du Christ lui-même.
Un vrai travail de bénédictin qui ne laissera personne indifférent, bien que l’ouvrage s’adresse prioritairement à un public cultivé et motivé.
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