Livre/ Du mammouth au Titanic. La déséducation nationale

Du mammouth au Titanic. La déséducation nationale est le titre de l’ouvrage d’Anne-Sophie Nogaret, professeur de philosophie. Certains appelleront son livre pamphlet ou brûlot quand il n’est, en réalité, qu’un constat, un témoignage sans fard. Quiconque a approché de près ou de loin le corps professoral de lycée, qui a entendu parler sa novlangue, le sent immédiatement.

Le pachyderme paléolithique se mouvait déjà avec lourdeur. Embarqué à présent dans le Titanic, il coule à pic, emporté vers le fond par son poids. On voit l’image.
Qui s’en soucie ? On préfère laisser jouer l’orchestre sur le pont, insouciant, selon une partition bien établie que chacun suit à la perfection - CPE, proviseur, académie, jusqu’au prof lui-même avec un zèle confinant au masochisme -, pour ne pas avoir d’ennuis. Le premier qui parlera est banni. Le fil rouge de ce livre, c'est celui-là : derrière l'angélisme, l'omerta.

Anne-Sophie Nogaret a vogué "d’un établissement à l’autre, lycée de campagne, lycée de centre-ville, lycée en zone sensible", elle a rencontré partout "les mêmes typologies et la même idéologie", n’a "pratiquement jamais entendu, dans la salle des profs, d’opinions divergentes par rapport à la doxa dominante", soit parce qu’elles n’existent pas, soit parce que les professeurs divergents s’autocensurent… "Pourquoi ne peut-on évoquer certaines réalités en salle des profs, sans être immédiatement vilipendé ?" La question mérite d’être posée.

Ceux qui pensent un peu vite que les profs de philo sont rasants se fourrent le doigt dans l'œil. D'anecdote ubuesque en description croquignolesque - comme dirait certain Président -, on rit malgré la gravité du sujet en suivant, dans les couloirs, ce joyeux misanthrope... si l'auteur, qui a vécu tant de désillusions, me permet l'expression. Il n’y a pas de mauvais élève, il n’y a que de mauvais professeurs : si cela se passe mal, le professeur est présumé coupable et la charge de la preuve lui incombe. Et ceux-ci, discrètement, du bout du pied, glissent discrètement les insultes, les absences, le travail jamais fait sous le tapis. Ah bon, tu as du mal - et c'est un euphémisme - avec tel élève ? s’étonne une collègue d’anglais, "c’est vrai qu’il manque souvent les cours, mais bon, elle en a discuté avec lui ("et on a vraiment bien parlé !", ajoute-t-elle ravie) et, depuis, tout n’est que joie." ; de telle autre - odieuse - le CPE dira qu'elle a "son petit caractère".

Une description qui n'est pas sans rappeler le livre Le Bavardage : parlons-en enfin, de Florence Ehnuel, où l'auteur explique comment le professeur jeté dans la fosse aux lions, privé de toute possibilité de sanction, est accusé de manquer "d'autorité naturelle" s'il échoue à se faire respecter.

Le lycée décrit par Anne-SophieNogaret est un univers kafkaïen, où les élèves sont sourds, ne pouvant entendre - entre violence, absentéisme, désintérêt, communautarisme - les (maigres) enseignements qu’on leur dispense, et les professeurs aveugles, préférant ne pas voir - tant par idéologie que par peur d’être mal noté - les lâches capitulations, les notations surévaluées, les humiliations récurrentes dont ils font l’objet.

Le laxisme y règne en maître, selon un axiome bien connu : l’interdit suscitant le désir de la transgression, mieux vaut tout laisser faire, c’est plus prudent. Et la culture de l’excuse a contaminé les esprits, sans qu'aucun ne semble en saisir le présupposé vaguement méprisant, confusément néo-colonialiste : « La victime n’est pas un adulte responsable mais un éternel enfant à qui il convient de d’accorder une éternelle indulgence, l’infantilisant à vie. »

Inutile de traiter Anne-Sophie de réac, de facho, de raciste, d’aigrie, d’affabulatrice et autres petits noms sympathiques, elle a l’habitude et la couenne dure. Et il est vrai que les faits lui donnent hélas mille fois raison :
Il y a quelques jours, en Seine-Saint-Denis, un professeur a été giflé par un élève de 16 ans tandis qu’un autre filmait l’agression avec son portable. le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer s’est dit « profondément scandalisé ». Et maintenant que fait-on ? Si on lui offrait, pour commencer, le bouquin d’Anne-Sophie Nogaret ?

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Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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