[LIVRE] Michel Maffesoli : Essais sur la violence

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Écrits dans une époque de calme relatif, ces essais sur la violence mais aussi sur la finitude et les tensions qui l’accompagnent, de Michel Maffesoli, publiés en 2014 et récemment réédités sont lumineux et prémonitoires. Toute époque finissante, on le voit aujourd’hui, fait ressurgir la violence, de par cette dualité fondatrice de l’être humain.

Dualité de l'être humain : porteur de civilisation et violence inhérente

Dès la citation en exergue de l’ouvrage, le ton est donné avec cette pensée de Pascal : « L’homme n’est ni ange ni bête et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. » Et c’est bien sur ce « malheur » sans cesse renouvelé que le livre s’interroge. Il explore cette dualité de l’être humain, le civis porteur de civilisation, de raffinement, mais aussi de la vis, la tension, la violence barbare, jusqu’à la bestialité. Et son surgissement récurrent dans une créature sans cesse en tension, accompagne, au fil d’une histoire qui depuis Abel et Caïn ruisselle de sang, la construction des empires et des sociétés, les guerres ou les révolutions. L’échange devient conflit ou conquête violente ou choc des civilisations, découlant de cette dualité.

La célèbre histoire fantastique du Dr Jekyll, être social et bon, et de son double l’horrible Mister Hyde, criminel incontrôlable, en est l’expression et la métaphore. La violence inhérente à l’être humain ne peut être durablement occultée. Dans toute société, comme dans chaque individu. Et l’on voit aujourd’hui le citoyen effaré, oublieux de ce qu’est l’homme, s’étonnant de ce qu’elle existe, chaque jour plus démesurée.

Notre actualité en est pleine. Aux attentats, aux massacres sauvages du 7 octobre en Israël répondent les frappes ciblées et civilisées sur Gaza et le Liban et des bombardements sur des villes entières. En France, comme dans les sociétés primitives, on récite contre elle des incantations, on organise des marches blanches et l’on dépose des peluches sur les trottoirs.

En sociologue, en penseur éminent, Michel Maffesoli analyse et explore avec une fascinante acuité toutes les formes d’une violence fondatrice des communautés ou des civilisations. Car, paradoxalement, le meurtre bestial fonde une société de communion et de solidarité. Les massacres de la Révolution Française portent notre république. Le Christ en croix devient le point de départ d’un nouvel ordre social et métaphysique.

Cette violence peut tout aussi bien s’exprimer dans la guerre, les conflits sociaux que dans la sphère privée, notamment dans la sexualité que les libertins du XVIIIe qualifiaient d’aimable guerre. Amour et haine, l’un si proche de l’autre, jusqu’au crime. Les débordements intimes sont comme l’écho dans le domaine privé de ceux que l’on voit dans le domaine social. La violence de la passion amoureuse chez les Romantiques, celle du couple qui s’adore puis se déchire, le crime passionnel et tant d’autres semblent découler des exaltations de l’ange qui nous appelait.

Cet incessant chemin de la terre aux étoiles, comme le crie le roi Ferrante à la fin de La Reine Morte de Montherlant, et qui représente la tragédie du pouvoir, pris entre l’aspiration à l’ange et à la loi de la force qui tient les empires, c’est aussi la représentation de la condition humaine et de son oscillation jusqu’à la finitude.

Comment gérer, endiguer cette violence ?

Le livre parle de tout ce que les hommes ont inventé pour l’exorciser, des Dionysies antiques, corridas ou carnavals traditionnels jusqu’aux modernes rituels, spectacles, processions syndicales, concerts, bizutages. La multiplication des règlements et autres réglementations que les technocrates s’acharnent à multiplier dans nos sociétés - il faudra bientôt des brouettes pour transporter les textes régissant notre vie quotidienne -, cette volonté d’aseptiser le monde ne fait que masquer ce qui finit par éclater. Car la bête réclame son dû, le Minotaure ses jeunes gens à dévorer. La violence est toujours là, prête à briser les barrières éphémères.

Le livre de Michel Maffesoli est infini et puissant, il touche au cœur de la condition humaine et de sa mécanique. C’est un tourbillon qui nous emporte au milieu de ce déchirement fondamental, il en révèle tous les aspects, les processus, les réalités. On n’en finit pas d’avancer dans les méandres que l’être humain a inventés, entre les deux infinis, le ciel et l’enfer, et tout cela est décrit avec une justesse qui enchante l’esprit.

Jean-Pierre Pélaez
Jean-Pierre Pélaez
Auteur dramatique

Vos commentaires

2 commentaires

  1. J’adore Michel Maffesoli pour l’art et la manière qu’il a de disséquer les mots qu’il nous offre dans ses écrits ou dans ses interviews, à la manière d’un zélé professeur de latin, cette langue morte, trop tôt pour le malheur de la langue française tant incomprise et malmenée par les temps qui courent.

  2. Merci Mr Pélaez pour votre très bel article. Celui-ci évidemment, me renvoie au magnifique ouvrage de René Girard « La violence et le sacré »
    La dualité ne serait-elle pas le reflet conceptuel et manifeste de l’égo, lui-même issus de la croyance en la séparation de l’homme avec Dieu ? Ce dilemme « amour-haine » ne peut en effet, engendrer que de la peur, de la culpabilité et de la violence au plus profond de soi. Cela, d’autant plus puissamment que cette réalité métaphysique est niée, refoulée ou ignorée dans notre culture judéo-chrétienne.
    Aujourd’hui, cet inextricable conflit est d’autant plus manifeste et « infernal » que l’homme se prive inconsciemment (et de plus en plus !) de la force du symbole ou du recours à la transcendance. On ne médite plus, on projette « à qui mieux mieux »
    La distance entre l’acte et la pensée disparaît au profit du plaisir du consumérisme immédiat.
    En effet, telle l’histoire du déclin de toutes sociétés « civilisées », nous marchons tout droit vers son effondrement, aveuglément.

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