[L’ÉTÉ BV] [LIVRES] Les souvenirs du grand cinéaste Pascal Thomas

Provincial revendiqué et issu d’une modeste lignée, Pascal Thomas a toujours méprisé les coteries parisiennes.
Pascal Thomas livre

À l'occasion de l'été, BV vous propose de redécouvrir des livres qui ont marqué l'année écoulée. Aujourd'hui, Souvenirs en pagaille de Pascal Thomas.

 

Pascal Thomas, une exception cinématographique à lui seul ? Il n’est pas incongru de se poser la question, à la lecture de ses mémoires, joliment intitulés Souvenirs en pagaille (Séguier). En effet, cet homme a toujours su évoluer, depuis maintenant 1972, avec son premier film, Les Zozos, hors des chemins tracés du septième art français, préférant emprunter ceux de traverse.

Provincial revendiqué, issu d’une modeste lignée paysanne et poitevine, il baptise sa première société de production du joli nom de « Films du chef-lieu ». De fait, jusqu’à aujourd’hui, Pascal Thomas méprise les coteries parisiennes, préférant s’enraciner en son terroir natal. Son village de Saint-Chartres sera son Hollywood à lui. Là où il tourne Pleure pas la bouche pleine ! (1973) et Le Chaud Lapin (1974), mettant en scène transports amoureux et autres émois adolescents.

Rien de graveleux, chez lui : ces premières étreintes conclues dans des champs de blé ne sont qu’éternels cycles de la vie, elles sont bénies par une sorte de lumière tombée du ciel. Dans ces deux films, l’héroïne n’est autre que la belle Annie Colé, une fille du cru. Une actrice amatrice, confondante d’érotisme inné et de naturel, pudique et coquine à la fois.

Maurice Ronet et Mai 68…

À l’auteur de ces lignes, Pascal Thomas confia : « Un soir que j’étais chez Castel [quoique campagnard, l’homme était parfois mondain, NDLR], un type osa prétendre qu’Annie Colé était « grosse ». Illico, mon ami l’acteur Maurice Ronet menaça de lui casser la gueule, estimant qu’elle était l’une des plus jolies femmes au monde. » Pour un séducteur frénétique, voilà qui valait tous les prix de beauté.

À propos de Maurice Ronet, il y a dans ce livre des pages délicieuses, lorsque l’auteur conte comment tous deux, en plein Mai 68, entonnent La Royale à tue-tête afin de couvrir le brouhaha de L’Internationale, l’un des tubes de l’époque. Ou quand le cinéaste Louis Malle, croisant Maurice Ronet, toujours chez Castel, lui affirme que la révolution est en marche et qu’il ne faut plus qu’un mort afin qu’elle commence pour de vrai. Impérial, Maurice lui répond : « Tu as raison, Louis. D’ailleurs, on va commencer par toi », avant de le traîner sur le trottoir et de le rosser en bonne et due forme.

Durant ces « événements », Pascal Thomas estime que les vrais prolétaires sont les CRS, venus de leur campagne - exode rural oblige - alors que les étudiants jouant aux émeutiers ne sont que des gosses de riches. Ce tropisme provincial, Pascal Thomas s’y replonge aujourd’hui, en ces mémoires depuis si longtemps promis et enfin couchés sur le papier. Un enchantement de chaque page. Il a ses marottes. Son enfance, tout d’abord, dont on sent bien qu’elle lui a laissé beaucoup de terre française à jamais incrustée à la semelle de ses souliers. Puis ses débuts, avec les trois films plus haut cités qui lui permettent de faire entendre sa petite musique singulière.

Et ensuite, des œuvres plus abouties, Celles qu’on n’a pas eues (1981) ou Les Femmes, les maris, les amants (1989). Ces œuvres, même plus profondes, sont toujours frappées au sceau d’une légèreté pleine de grâce. Laquelle est manifestement contagieuse pour ses acteurs : un Michel Galabru, réactionnaire bourru et en apesanteur dans le premier, un Michel Robin, éditeur royaliste qui fait cocorico dès potron-minet pour saluer le lever du soleil, illuminant le second.

« Collectionner les moments de bonheur »

L’acmé de sa carrière, commercialement s’entend, demeure La Dilettante (1999), où Catherine Frot, à son zénith, se montre délicieusement amorale, mais qui, en l’occurrence, se dévoile bien plus « morale » que ce bal des hypocrites rudoyé par un Pascal Thomas tâtant de la politique, tout en faisant mine de ne pas y toucher. Puis son ubuesque relecture des œuvres d’Agatha Christie, avec Mon petit doigt m’a dit (2005) et Le crime est notre affaire (2008), où Catherine Frot (encore elle) et André Dussolier font merveille, sans oublier ces bijoux : Mercredi, folle journée (2001) et Le Grand Appartement (2006). Un pan du patrimoine cinématographique français qu’il convient urgemment de découvrir ou de redécouvrir.

Les derniers films de Pascal Thomas n’ont pas toujours eu le succès public qu’ils méritaient. Dans ce livre facétieux, il ne s’en offusque guère, préférant consacrer de nombreuses pages à sa véritable passion : la collection d’éditions rares, si possible dédicacées par leurs respectifs auteurs, avec une dilection toute particulière pour des auteurs tels que Jorge Luis Borges ou Jacques Chardonne.

Un livre à mettre entre toutes les mains, ne serait-ce que pour communier avec son auteur, lorsqu’il nous dit : « Désormais, je suis comme Stendal, je n’entends plus collectionner que les moments de bonheur. » On a connu pire viatique.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 11/08/2024 à 18:38.
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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

Un commentaire

  1. Ah ! la nostalgie à revoir ces films qui nous ramènent à notre adolescence, aux odeurs de la campagne l’été et aux promenades main dans la main avec notre petite amie en croyant à l’amour éternel ! L’insouciance, les joies simples dans ces années 70, où tout paraissait possible et rien d’autre n’importait que de profiter de notre jeunesse. Où les rapports entre filles et garçons étaient moins compliqués qu’aujourd’hui. Nous prenions le temps, il fallait être patient et elles avaient toujours le dernier mot. Je comprends pourquoi nos enfants sont nostalgiques de cette époque qu’ils n’ont pas connues… Peut-être n’aurions nous pas du leur en parler ? Mais si ça peut leur donner l’idée de changer notre monde, de retrouver et de transmettre les vraies valeurs… avec le temps… Moi, ça me fait rajeunir.

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