[LIVRE] Retrait de permis : double peine pour la France d’en bas

Un quart de siècle durant, Jean-Louis Tremblais a été grand reporter au Figaro Magazine. Ainsi fut-il l’un des premiers journalistes à couvrir la guerre civile en ex-Yougoslavie. Puis ce fut l’Afghanistan et le Proche-Orient. Hormis les balles et les obus, il a aussi connu ces innombrables check-points où l’on risque parfois de perdre, au choix : son argent (racket), sa liberté (prise d’otage) ou tout simplement la vie (on n’est jamais à l’abri d’une rafale à la va-vite partie).
Notre homme a échappé à tout cela, hormis le premier des désagréments plus haut évoqués ; mais cela fait partie des frais généraux de la profession. En revanche, c’est à l’occasion d’un autre check-point, dans la campagne lyonnaise, qu’il a dû abandonner un bien presque aussi précieux : son permis de conduire, ce qu'il nous raconte dans Retrait de permis. En de telles circonstances, il y a deux options : la vitesse ou l’alcool. La première est (socialement, s’entend) plus présentable ; l’autre moins. Avoir eu le pied lourd sur le champignon passe toujours mieux qu’une main ayant été encore plus lourde sur la chopine. Il est vrai que Jean-Louis Tremblais a une excuse d’ordre littéraire. Elle n’a pas suffi à convaincre les forces de l’ordre, ces dernières ayant été visiblement imperméables à la poésie d’un Léon Daudet qui, jadis, écrivit ces lignes immortelles : « Lyon est une ville arrosée par trois grands fleuves : le Rhône, la Saône et le Beaujolais ; lequel n’est jamais limoneux ni à sec. »
L'enfer de la bureaucratie française
Ce roman graphique narre donc le calvaire de notre Tintin reporter – avant d’en être réduit à se peigner avec une éponge, on lui connut une sorte de houppette – pour récupérer le précieux sésame. Et là, pire que tout : la bureaucratie française. D’abord, les gendarmes qui tapent leur rapport avec un doigt (celui de la main gauche, généralement), leurs leçons de morale précédant celles du juge et tout le toutim.
Puis, la mise au ban familiale. En effet, comment expliquer aux beaux-parents que non, on ne pourra emmener la petite sœur à son cours de danse et aller, ensuite, chercher le grand frère à celui de karaté ? Il faut donc, à défaut de reconnaître les faits, au moins les dissimuler. Charger à mort le garagiste, ce bon à rien qui n’en finit plus de réparer votre bagnole, ou un emploi du temps surchargé. Voilà qui peut un temps donner l’illusion, mais après ? Ce, d’autant plus qu’au passage, il faut passer à la brigade médicale, présenter des analyses en bonne et due forme, lesquelles sont plus promptes à vous accuser qu’à vous disculper, ces canailles de gamma GT et autres molécules délatrices ayant une fâcheuse tendance à vite monter et à se prélasser pour redescendre.
Ces autres « territoires oubliés de la République »…
Un récit autobiographique, drôle et tragique à la fois, donc. Drôle, surtout en raison des dessins d’une certaine Anne Tremblais, sa fifille donc, au trait alerte et enjoué (elle devrait aller loin, la petite), et surtout des textes aussi incisifs qu’hilarants de l’auteur. Tragique, parce que ce dernier décrit en creux la misère de ces autres « territoires oubliés de la République » : la cambrousse. Ce qu’il nous confirme : « Des histoires comme la mienne, il y en a des milliers, dès qu’on s’éloigne des grandes villes. Dans les mégapoles, on a le droit de s’amuser. On peut fumer en terrasse et, si l’on a abusé, on peut toujours rentrer à pied, à bicyclette, en taxi ou en tramway. Mais chez nous, impossible ! Il y a des contrôles à tous les ronds-points, aux abords des bistroquets, des mariages, des fêtes de village, des concours de belote ou des boîtes de nuit… » Rappelons que la dose légale est de seulement deux verres. Pas exactement de quoi faire la fête et refaire le monde, dira-t-on.
Et pendant ce temps, ça fait la ribouldingue à l'Élysée…
Ainsi, Jean-Louis Tremblais y voit l’une des raisons non avouées, parce que pas toujours avouables, de la jacquerie des gilets jaunes : « Ces lois prises par des Parisiens auxquelles seuls les "sans-dents" et autres "personnes déplorables" seront assujetties. Ces députés qui se font poisser en train d’acheter de la drogue dans le métro et les autres qui se font quasiment une gloire, sur les plateaux télévisés, d’avoir dealé du shit pour payer leurs études. » Et c’est encore sans compter un JoeyStarr qui se vante d’avoir vidé les réserves de rhum élyséennes en compagnie de Julie Gayet et de François Hollande. Ou encore lors du mariage de Nicolas Sarkozy avec Carla Bruni, dont le beau-frère, Philippe Garrel, fumait ostensiblement des joints en pleine noce.
Mais chez ces gens-là, il y a toujours des voitures avec chauffeurs – en attendant les motards de la Garde républicaine ? – pour les raccompagner chez eux. Autrefois, loin des grandes villes, c’est ce que faisaient les mêmes gendarmes, tournant à partir d’une certaine heure dans les boîtes de nuit et les bistrots, ramenant à leur domicile ceux qui avaient dépassé la dose prescrite, autrement plus élevée à l’époque, tout en leur recommandant d’aller rechercher leur véhicule le lendemain, l’esprit frais et la tête reposée. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, de tels accommodements étant manifestement réservés à la France d’en haut, au contraire de celle d’en bas, là où la suspension du permis de conduire équivaut à la double peine.
Car il y a tout d’abord les amendes, le coût des visites médicales à répétition, mais aussi parfois le chômage : un chauffeur-routier, un livreur, un artisan, une infirmière ou un médecin de campagne, voire même un simple salarié qui n’a plus le permis, c’est souvent une existence qui bascule dans le vide.
Tout le talent de Jean-Louis et Anne Tremblais consiste à parvenir à nous faire rire avec ce qui est souvent plus que tragique. À la vôtre, les artistes !

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8 commentaires
Le livre est peut-être bien, cependant, je déplore le manque de remise en question des personnes qui perdent leur permis. Si tu es chauffeur routier, tu te dois d’être exemplaire car tu es un professionnel de la route. Pleurer d’avoir perdu son permis pour de l’alcool ou de la drogue et de se retrouver au chômage, c’est n’être pas capable de se remettre en question. Chacun doit assumer ses actes. Que dirait-on si les gendarmes roulaient alcoolisé ? On a le droit à l’erreur mais encore faut-il les assumer.
Je ne fais pas la morale mais je trouve dommage d’excuser de mauvaises actions.
À ça doit être gai les réunions avec vous ! Pour commencer quand quelqu’un dit « je ne fais pas la morale » c’est justement qu’il la fait. Vous devais être jeune pour ne pas avoir connu de gendarmes bourrés au travail, pour ma part , et ayant travaillé plus de dix ans pour une brigade, je peux vous garantir sans exagérer que tous ne sont pas toujours exemplaires en la matière. Il est plus facile de priver un automobiliste de son permis de conduire que d’arrêter des délinquants armés, ça rapporte des points de bonus pour la carrière sans risque. C’est avec des types comme vous qu’on se retrouve avec un Macron au pouvoir.
Je regrette une fois de plus que votre lien, pour achat, renvoi vers Amazon, une société américaine.
N’est-il pas possible de faire une page où la diversité de nos libraires pourrait apparaitre ?
Tout ça n’est plus d’actualité.. à la campagne pour voir un gendarme dans un rond point il fait des mois..il n’y en a presque plus..les gens en particulier les jeunes roulent comme des fous sur les départementales ou la il n’y a pas un flic sauf pour ramasser les dégâts d’accidents souvent graves sur fonds d’alcool ou de drogués ( eh oui à la campagne aussi) .
Des gamins de 16 ans traversent les villages au volant de tracteurs avec remorque de plus de 40 tonnes à 80 kms ( sans ralentir)..
Alors je suis contre le permis à 17 ans,le droit de conduire un engin agricole a 16 ans,pour un retour des gendarmes et d’une vraie répression.. Par ailleurs ce n’est pas tous les jours qu’un chauffeur » de la haute » est implique dans un grave accident…
J’habite a la campagne depuis 30 ans et je n’ai jamais vue un tracteur dépasser le 60 k. heure avec ou sans remorque et j’en ai suivit pas mal. Un tracteur agricole n’est pas fait pour la vitesse mais pour sa force de traction. pour ce qui est des autres points je suis d’accord avec vous.
Ah et 60 km/h a 16 ans avec 40 tonnes en plein village ce serait normal?..j’habite aussi la moitié de l’année dans le 49 dans un bourg et ça passe devant chez moi tous les jours..je précise toute ma famille est dans l’agriculture et connait ma position je conduisais un tracteur à 16 ans mais c’était un 40 cv renault.qui plafonnait a 25 km/h..loin des 1000 chevaux des machines d’aujourd’hui..que je conduis aussi parfois.
Les parents qui ont perdu un enfant sur la route à cause d’un crétin qui se pensait au dessus des lois vont très certainement se délecter de ces n-ièmes jérémiades.
Cher Monsieur « Andouille »
Certes oui…Mais êtes-vous certain que le harcèlement paroxystique anti-bagnole dont sont victimes 45 millions d’automobilistes en France ait permis de sauver une (ou plusieurs) des vies dont vous déplorez, à juste titre, la perte ? Si oui, combien ? La mortalité routière (1) a été divisée par 20 en l’espace de 50 ans, et n’est même plus dans le « top 10 » des causes de mortalité accidentelle. Nous avons clairement passé le cap fatidique où les effets pervers d’une orientation vertueuse l’emporte largement sur ses effets positifs. Des centaines de milliers de conducteurs (mais aussi « citoyens, salariés, parents, ) qui n’avaient jamais tué ni blessé personne ont été précipités dans la précarité, certains se sont suicidés, et l’on estime à plus de 3 millions le nombre de ceux qui roulent désormais sans permis
(1) 17 500 tués en 1972, année record, pour 11 millions de véhicules en circulation !