Livre / Un temps pour mourir, par Nicolas Diat

Le livre s’intitule « Un temps pour mourir : Derniers jours de la vie des moines » (Fayard). Attendez ne partez pas ! Ce n’est pas ce que vous croyez, un bouquin pour grenouille de bénitier qui va mortellement vous saouler. Au contraire, vous allez le dévorer.

D’abord parce que vous êtes tous concernés - si vous croyez que vous allez y couper… pour ceux qui seraient tentés de s’illusionner, relire La mort du Dauphin d’Alphonse Daudet. Ensuite parce que c’est d’actualité : C’est en ce mercredi des Cendres, que l’Église rappelle à chacun de ses fidèles qu’il est poussière et retournera en poussière - on me pardonnera ce petit cours de caté improvisé, mais mes enfants devant obligeamment définir pour leurs pairs le carême comme « le ramadan des catholiques », je me demande si la religion supposée encore majoritaire dans ce pays ne souffre pas (comment dire ?) d’un déficit de visibilité. Enfin, parce que la réouverture du débat sur l’euthanasie jointe à la grogne des EHPAD - la concomitance tient peut-être du hasard, mais elle est vaguement angoissante - nous a ramenés au cœur du sujet : réussir sa vie, c’est bien. Mais il va falloir penser aussi à réussir sa mort.

L’auteur, Nicolas Diat, qui s’est fait précédemment connaître pour ses livres co-écrits avec le cardinal Sarah, a conçu son récit comme une promenade bucolique à l’ombre des plus célèbres abbayes - Lagrasse, En-Calcat, Solesmes, Sept-Fons, Cîteaux, Fontgombault, Mondaye et la Grande Chartreuse. Il y a recueilli les confidences à la fois pudiques et sans fard des moines : rien n’y est occulté, ni les souffrances, ni les peurs, ni les fous-rires - comme lorsqu’un cercueil capitonné, tout froufroutant de dentelles et quelque peu décalé avec la qualité du défunt, fut livré par erreur, obligeant les frères à découper au ciseau les ruchés - ni la dernière toilette de ceux qui, pour certains, seront ensevelis en pleine terre. Ni même, souffrance suprême pour le père Abbé qui le relate, le suicide de l’un d’eux.

Nous avons des moines une image d’Épinal. Ils ont déjà un pied dans l’au-delà, leur vocation nous semble être, à nous autres, une petite mort - Nicolas Diat raconte du reste qu’autrefois, les vœux à Fontgombault se prononçaient sous un drap mortuaire - et disons le franchement, le retour au Père est un peu l’objet social de leur boutique. Alors on s’imagine leur trépas comme la dormition de la Vierge dans l’iconographie sulpicienne : d’une douceur extrême. Pourtant eux aussi, même s’ils ont apprivoisé la mort et la regardent en face, en connaissent les affres. Ce serait trop simple, sinon… et c’est finalement rassurant. À l’abbaye de Cîteaux, sont évoqués, bien sûr, les frères de Tibhirine. Comment sont-ils morts ? « Nous sommes presque certains qu’ils furent décapités », « Qui peut savoir s’ils ont eu peur ? Leurs combats spirituels ont dû être terribles ». À Fontgombault - où l’on trouve la fameuse statue de Notre-Dame du bien-mourir - la loi Léonetti vient sur le tapis : « la sédation profonde et continue telle qu’elle est proposée par [cette] loi est inacceptable et immorale », même « s’il est légitime de pratiquer chez les personnes en phase terminale une sédation brève qui a pour effet de passer un cap, de calmer les angoisses presque insupportables comme celles d’un malade qui présente des difficultés respiratoires. »

Mais ce qui frappe surtout est l’extrême délicatesse dont sont l’objet les vieux moines arrivés au bout du chemin. L’extrême attention pour les derniers instants, l’extrême respect pour les défunts, dont la mémoire sera ensuite entretenue. Disons-le, le meilleur des EHPAD, et de loin, se trouve sans doute derrière les enclos des abbayes. Le problème est que pour y prétendre, il faut, auparavant, y avoir passé sa vie.

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Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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