[Livres] Violence et fragilités de l’Empire américain

l'amérique empire

À la veille d’une élection présidentielle dont le monde entier guette l’issue, les Éditions Temporis ont fait œuvre utile en rééditant L’Amérique Empire, de Nikola Mirković. Abondamment sourcé, l’ouvrage emprunte les sinueux détours de l’histoire et de la géographie afin de mieux cerner les contours d’une identité américaine marquée par une révolution fondatrice et un projet impérialiste.

Empire sans le dire

Parler d’Empire américain peut étonner à double titre. En premier lieu, « l’impérialisme américain » a eu pendant la guerre froide une connotation volontairement négative, répandue et instrumentalisée par les milieux marxistes afin de contester la présence américaine en Amérique du Sud et en Asie, notamment. Par ailleurs, le terme d’« empire » renvoie généralement à des cas de figure de conquêtes militaires débouchant sur une extension perpétuelle du territoire, comme ce fut le cas pour Rome et, plus récemment, pour la France napoléonienne.

Pourtant, l’impérialisme peut prendre d’autres formes et la volonté de puissance, de conquête et de domination qui le caractérise peut avoir bien d’autres fins que militaires et territoriales. Et c’est toute la démonstration que nous propose Nikola Mirković qui, pour cela, revient aux sources, c’est-à-dire aux premiers colons, puis à leurs descendants révolutionnaires et fondateurs de la République américaine.

Armée, commerce et culture

Lorsqu’ils la décrivent eux-mêmes comme le « nouveau monde », il convient de prendre l’expression aux deux pieds de la lettre : « nouveau » parce qu’il rompt avec l’ancien, européen, dont sont issus ses fondateurs ; et « monde », car c’est là l’ambition de son projet.

Si la conquête s’est assez vite limitée aux frontières territoriales que nous lui connaissons, elle s’est poursuivie et se poursuit encore aujourd’hui par d’autres moyens (économiques et culturels) avec la guerre comme soutien logistique. Dès 1785, dans un message à son secrétaire aux Affaires étrangères, le président Jefferson l’expliquait limpidement : « Notre commerce sur les océans et dans d’autres pays doit être payé par de fréquentes guerres. » D’emblée, le projet américain s’autojustifie par un messianisme revendiqué : « Nous, Américains, sommes un peuple particulier, un peuple élu, l’Israël de notre époque, nous sommes dépositaires de l’arche des libertés pour le monde », rien de moins, résume le poète Herman Melville, en 1850. De Disney à Coca-Cola et désormais au wokisme, l’impérialisme américain est une conquête culturelle qui cherche à imposer partout son « American way of life ». Avec le dollar frappé du « In God We Trust » comme outil d’appropriation et le pétrole comme carburant, l’impérialisme américain est une conquête financière, économique et industrielle. Et l’armée a été l’outil d’une Amérique qui n’a cessé de faire la guerre dans le monde après l’avoir faite aux Indiens.

Colosse aux pieds d’argile

L’Amérique Empire décrit dans le détail cette toute-puissance impériale américaine, mais en décèle aussi les failles et les fragilités aujourd’hui grandissantes. À l’instar de ses campagnes électorales, de ses tentatives d’assassinat de présidents et de ses massacres de masses, la société américaine est d’une grande violence. Et cette violence, comme l’illustre bien le portrait qu’en fait l’auteur, est peut-être le pire ennemi de l’Empire américain lui-même.

Si elle a beaucoup évolué, depuis deux siècles et demi d’existence, l’Amérique hésite toujours entre son appétit guerrier et un réflexe isolationniste, qu’incarnent respectivement, aujourd’hui, les démocrates et les républicains, Kamala Harris et Donald Trump.

Les lignes de fracture se sont exacerbées, ces dernières années, avec la gauchisation d’une frange des démocrates et le retour en force d’un pôle conservateur chez les républicains, mais elles influent aussi beaucoup sur la politique étrangère américaine, même si les électeurs américains ne s’y intéressent guère, sauf quant au coût des guerres menées.

Comme le montre bien Nikola Mirković, l’Amérique est un autre monde, mais dont il faut savoir décrypter les ressorts pour comprendre son fonctionnement, son évolution et leurs conséquences sur notre propre destin.

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