[L’œil américain] De Gaza à la mer Rouge, l’échec de la stratégie iranienne

Joe Biden
Joe Biden

De l’Orient compliqué, ils sont nombreux à être revenus avec des idées simples. Trop simples, peut-être. Et, surtout, non dénuées d’arrière-pensées. À écouter le président américain, le chemin qui doit conduire à la paix au Moyen-Orient n’a rien de bien énigmatique : il repose sur l’acceptation par Israël de la création d’un État palestinien.

La solution à deux États

Une vision partagée par Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, qui lors d’un déplacement en Espagne, le 19 janvier dernier, a durement tancé l’État hébreu, allant jusqu’à le rendre responsable de la création du Hamas. « Nous pensons qu’une solution à deux États [israélien et palestinien] doit être imposée de l’extérieur pour ramener la paix. Même si, et j’insiste, Israël réaffirme son refus [de cette solution] et, pour l’empêcher, est allé jusqu’à créer lui-même le Hamas », a-t-il déclaré lors d’une allocution.

Des propos que ne renierait pas la gauche progressiste qui, de part et d’autre de l’Atlantique, impose un même grand récit qui fait de la non-résolution de la « question palestinienne » la cause de tous les maux au Moyen-Orient et d’Israël un État colonial menant à dessein une politique génocidaire à Gaza. Dans ce contexte médiatique, l’administration Biden se donne le beau rôle en déclarant prôner la retenue auprès du Premier ministre israélien tout en multipliant les initiatives diplomatiques afin d’éviter une escalade qui embraserait la région.

Surmonter les réticences israéliennes en mettant fin au plus vite à la guerre à Gaza et en engageant des négociations en vue de la création d’un État palestinien apparaît ainsi comme le remède miracle qui ramènera la paix. Dans cette perspective, Israël est présenté comme le facteur majeur d’instabilité qui, en refusant de régler un conflit local, créé les conditions d’une guerre régionale.

Une analyse qui permet à l’administration Biden de s’exonérer de la moindre responsabilité dans la situation actuelle. La question que l’on pourrait, en effet, se poser serait de savoir si, à l’inverse, ce n’est pas plutôt un conflit régional qui a provoqué une guerre locale ?

Le rôle de l’Iran

Pour cela, il faudrait accepter de regarder ce que les Américains appellent l’« éléphant dans la pièce ». Tout le monde le voit mais personne ne souhaite en parler. L’« éléphant » dans la crise que traverse le Moyen-Orient, c’est le rôle joué par l’Iran dans la tragédie du 7 octobre et la politique d’apaisement à l’égard des mollahs menée par Joe Biden dans la continuité d’Obama.

Une politique erratique à laquelle le président américain doit désormais faire face après une frappe de drone qui a provoqué la mort de trois soldats américains en Jordanie, dimanche dernier. Une frappe menée par une des milices appartenant à l’« axe de la résistance » dirigé par Téhéran. Depuis octobre dernier, ce sont plus de 150 attaques contre les forces américaines au Moyen-Orient qui ont été perpétrées par les mandataires de l’Iran. Sans pour autant susciter de changement de cap du côté de l’administration Biden, avant tout préoccupée par la crainte d’une extension du conflit.

En réalité, qu’il le veuille ou non, Joe Biden est déjà engagé dans une guerre régionale. Une guerre qui n’a pas débuté le 7 octobre. De Gaza à la mer Rouge en passant par le Liban, la Syrie et l’Irak, les milices qui s’en prennent aux Américains et aux Israéliens ont toutes le même mentor. Qu’il s’agisse du Hamas, du Hezbollah ou des Houtis, tous s’inscrivent dans le dispositif régional iranien d’encerclement de l’État hébreu.

Un des grands efforts de l’administration Biden après l’attaque terroriste du 7 octobre a été d’écarter la piste iranienne afin de ne pas avoir à se confronter au véritable problème qui déstabilise le Moyen-Orient. « Nous n’avons pas encore vu de preuves que l’Iran a dirigé ou était derrière cette attaque particulière », a très vite temporisé le secrétaire d’État américain Antony Blinken après les révélations publiées par le Wall Street Journal, dès le 8 octobre, qui indiquaient que les responsables de la sécurité iranienne avaient aidé à planifier l’attaque surprise du Hamas.

L’échec de la stratégie démocrate

On peut le comprendre. Après son entrée en fonction en 2021, Joe Biden a relancé la politique d’apaisement à l’égard de l’Iran lancée par Obama et stoppée par Trump. La « doctrine Obama » considère que la pacification de la région nécessite une réintégration progressive de l’Iran avec qui ses adversaires doivent apprendre à « partager leur voisinage ». Comme son prédécesseur démocrate, Biden a tenté de prendre appui sur un accord sur le nucléaire iranien pour y parvenir.

Faute d’aboutir à un accord officiel, son administration a négocié, en 2023, un accord informel accordant des milliards de dollars à Téhéran dans l’espoir de maintenir le statu quo jusqu’à l’élection présidentielle américaine de 2024. L’erreur a été de croire qu’il était possible d’acheter la paix régionale en neutralisant le pouvoir de nuisance des Iraniens tout en poursuivant le processus, lancé par Trump, de normalisation d’Israël avec les puissances arabes sunnites, et particulièrement l’Arabie saoudite.

Le calcul de l’administration démocrate s’est fondé sur l’idée que les Iraniens seraient capables d’agir comme des acteurs pragmatiques qui finiraient par accepter de s’intégrer, si on leur en donnait l’occasion, à un ordre régional américain incluant Israël. Ce qui supposait également - autre idée erronée - de ne pas prendre au sérieux leur idéologie révolutionnaire islamiste qui n’a jamais fait mystère de son objectif d’éradiquer Israël et de chasser son protecteur américain hors du Moyen-Orient.

Or, non seulement Téhéran a refusé de s’intégrer à une quelconque Pax Americana, mais il s’est donné les moyens d’en désintégrer les fondations. Dans cette perspective, la « question palestinienne » n’est, en réalité, qu’une case parmi d’autres sur l’échiquier moyen-oriental à travers lequel l’Iran déploie sa stratégie qui ne peut prospérer que grâce à une instabilité régionale continuellement entretenue.

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

38 commentaires

  1. La solution à deux États est une illusion. Un État palestinien n’arrachera pas du cœur des musulmans la haine du juif.

  2. tout a fait d’accord…
    Deux espoirs :
    1-Election de Trump en Novembre 2014… qui reprendra en main cette politique US au Moyen Orient dans le bon sens.
    2- rapprochement d’Israel et de l’Inde qui connaît bien le probleme de l’islam et sait le traiter comme il faut.
    De Toute façon Israel fera au mieux de ses interets et n’a que faire des conseils des timorés de l’occident (France y compris).

  3. Comment peut-on encore parler de solution à deux états, alors qu’aucun des deux protagonistes n’en veut ?
    Les israéliens redoutent un état palestinien souverain à 15km de Tel Aviv pour leur sécurité, échaudés par l’expérience de leur retrait de Gaza en 2005 laquelle n’a eu de cesse depuis d’envoyer des roquettes sur Israel pour finir par le massacre du 7 octobre. De l’autre côté, les palestiniens ont refusé d’avoir un état à de multiples reprises : en 1947, après Oslo en 1993 en provoquant l’Intifada meurtrière qui a a arrêté net le processus vers un état palestinien indépendant, enfin en 2000, sous le gouvernement Ehud Barak qui avait offer à Arafat toute la Cisjordanie et Jérusalem est comme capitale. En fait si on lit les discours en arabe de Mahmoud Abbas, il est clair que le but est d’éliminer Israël pour un état arabe sur toute la Palestine et cela est écrit noir sur blanc dans la charte du Hamas. Comment voulez-vous vous avoir deux états vivant « cote à côte dans une telle situation ??

  4. « La « doctrine Obama » considère que la pacification de la région nécessite une réintégration progressive de l’Iran avec qui ses adversaires doivent apprendre à « partager leur voisinage ». Toujours l’idéologie (de gauche) au pouvoir. L’idée est bonne, mais en oubliant qu’en Iran ce sont les mollahs qui gouvernent. Créer artificiellement un état palestinien à côté d’Israël reviendrait à y déposer délicatement une bombe à retardement et probablement nucléaire.

  5. Seul TRUMP avait assez d’ autorité pour s’imposer dans ce panier de crabes. Son retour aux affaires serait d’une grande utilité dans le contexte actuel du Moyen Orient.

  6. C’est un article intelligent. Mais les USA et l’Occident ne sont pas des Anges (il n’existe pas d’Ange Mondialiste) et l’Iran n’est pas le Diable. « Un ordre régional américain » (Judéo-Américain en réalité), c’est précisément tout le problème. Il est de plus en plus refusé, et pas seulement par l’Iran. Si les USA s’occupaient seulement de ce qui se passe dans le Golfe du Mexique et pas en Mer Noire ?

    • C’est un des trépieds du puritanisme, les deux autres étant l’interdiction du sexe et la banalisation de la violence et du meurtre.

  7. Vous avez juste oublié qu’Israël n’est qu’une tête de pont US dans le monde musulman et qu’il n’existe que par le soutien américain, que les USA ont des bases « illégales » en Syrie et Irak pour tenter de dominer ces pays et leur soutirer leur pétrole, que l’Iran fait partie des BRICS+ , a signé des accords de défense spécifiques avec la Russie, qu’il est lié à la Chine qui a permis son rapprochement avec l’Arabie Saoudite… et j’oublie l’axe économique Russie-Iran-Inde avec les projets de liaisons ferroviaires et de gazoducs en cours .D’accord, ce ne sont que des détails

  8. Les américains ont fait 2 grosses erreurs. En intervenant en Irak, ils ont laissé le champ libre a l’Iran. Car ces 2 pays étant en conflit permanent s’affaiblissaient mutuellement. Débarrassé de ‘Irak, l’Iran se sent pousser des ailes et accentue son pouvoir de nuisance, alimenté par sa haine viscérale d’Israël.
    2ème erreur, Obama a débloqué des milliards de dollars à l’Iran, croyant naïvement acheter la paix.
    Il n’a fait que leur donner les moyens d’accentuer leur pouvoir de nuisance en attisant les haines et fournir des armes et/ ou des moyens aux palestiniens, houtis, et à sa conquête de l’Irak exsangue.

  9. La panacée serait 2 états? Le problème c’est que les deux parties veulent l’implanter au même endroit…

    • En plus, loin de geler les implantations de colons en Cisjordanie, qui semble être le lieu le plus probable d’un futur état palestinien, les Israeliens intensifient encore le mouvement, ce qui semble indiquer qu’ils n’accepteront jamais cette solution, puisqu’ils font exactement l’inverse de ce qu’il faudrait faire pour préparer cette hypothèse. D’autre part, cet état palestinien gênerait le « Drang nach Osten’ nécessaire pour former le grand Israel, qui absorbera un jour la Jordanie si on les laisse faire.

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