Lucio Fulci, cinéaste catholique contrarié…
La vie est parfois bien faite, surtout quand des artisans d’exception connaissant leur métier l’exercent mieux que bien. C’est évidemment le cas de ceux d’Artus Films. Il y a de cela une poignée de semaines, il était fait grand cas, sur Boulevard Voltaire, de deux pépites oubliées, L’Enfer des Zombies et L’Au-delà, signées par le grand Lucio Fulci.
Avec Frayeurs, la trilogie horrifique du maestro est désormais bouclée. Dans le premier opus, il revisitait le folklore caribéen, ses zombies et ses légendes indiennes. Dans le deuxième, celui de la Louisiane, ses marais et ses fantômes. Et dans le troisième, Frayeurs, donc, celui d’une Amérique profonde, certes imaginaire, mais si admirablement décrite dans les ouvrages de l’immense H.P. Lovecraft, dont ce film est très vaguement inspiré.
Dans ce dernier, ne cherchez pas plus de cohérence scénaristique que dans les deux précédents volets du triptyque : seule compte l’ambiance, moite et sombre, révulsive et fascinante à la fois. Le tout est filmé avec l’inimitable grâce de l’artiste, grâce que n’auraient sûrement pas reniée un Jean Cocteau ou un Mario Bava, père de l’épouvante gothique à la sauce transalpine. Logique. En effet, qui d’autre qu’un Italien, bercé par des siècles de peinture, de sculpture et d’architecture, enfant à la fois des fiers empereurs romains et des fourbes doges vénitiens, de saint François d’Assise et des Borgia, aurait pu mettre tout ceci en images, si ce n’est Lucio Fulci ?
En cinéphiles accomplis, les esthètes de la maison Artus ont une fois de plus mis les petits plats dans les grands. D’où cette somptueuse édition, accompagnée d’un copieux livret de près de cent pages retraçant le posthume héritage cinématographique lovecraftien. Mieux : les entretiens en bonus de Lionel Grenier, gardien du temps fulcien, et d’Alain Petit, l’homme qui seconda longtemps Jean-Pierre Dionnet, aux grandes heures de "Cinéma de quartier" sur Canal+, nous en disent plus encore sur la personnalité de ce cinéaste hors du commun.
Ainsi, Lucio Fulci, à l’instar d’un Pier Paolo Pasolini, était un catholique contrarié. Fâché avec le Christ, il voulait pourtant y croire pour parfois mieux lui en vouloir, en une sorte de sainte colère, de blasphème libérateur. De Peppone en Don Camillo tout en passant par les Corleone et la loge P2, les Italiens ont souvent été très compliqués sur la question. Ainsi Frayeurs s’ouvre-t-il sur le suicide d’un prêtre, qui se pend après avoir perdu la foi et s’être laissé tenter par la désespérance, péché ultime qui ouvre les portes de l’Enfer sur notre pauvre Terre déjà bien malmenée. Ce qui explique l’apocalyptique déchaînement qui s’ensuit, mais dans lequel on se demande si Fulci se débat contre ses démons intérieurs ou s’il les accepte, comme partie constitutive de sa propre personne. À force d’être contre Dieu, on finit par s’y trouver tout contre.
Ce rapport ambigu à la religion et aux valeurs fondamentales ayant façonné notre vieille civilisation helléno-chrétienne, on le retrouve une fois encore dans un western, Selle d’argent, inédit en nos contrées, mais fortuitement réédité par Artus. Il s’agit d’un film familial, à l’occasion duquel un pistolero – l’emblématique Giuliano Gemma ; les amateurs de bon cinéma connaissent – prend un enfant sous son aile. La famille du gosse a froidement abattu le père de Gemma. Mais celui-ci peut-il se venger sur les descendants du meurtrier ? Que faire, si ce n’est le confier à des moines – la religion catholique, ultime recours ? Eh bien, oui. Un péché doit-il s’ajouter à un autre péché ? Comme à l’accoutumée, chez les Ritaliens, tout cela est une fois encore très compliqué.
Le plus simple est encore de se faire sa propre idée. Et comme l’acquisition de ces films, à la fois hors du commun, vraiment pas chers et qui donnent à penser, ne pourra faire que le bonheur des cinéphiles éclairés, à quoi bon hésiter ? Sauf si vous préférez l’œuvre d’Arnaud Desplechin ; mais, dans ce cas, le vôtre est désespéré.
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