Mai 68 : j’y étais et je pris la parole à la Sorbonne pour partir à l’assaut de l’ORTF !
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Étudiant, je n’étais absolument pas politisé au sens où je n’étais adhérent à aucun des mouvements en vogue de l’époque : maoïste ou communiste. Le Che ou Mao n’étaient pas mes idoles. Dans ces années 65-67, la jeunesse, dans sa grande majorité, était peu politisée mais avait soif de changements dans sa vie quotidienne et aspirait à un avenir meilleur. Mai 68, pour moi, c’est d’abord le mois de l’agrégation. C’est, en même temps, l’exaltation de participer à un moment historique.
Assez occupé par le concours, je ne prête qu’une oreille distraite aux infos retransmises par la radio. Heureusement, l’examen a lieu tout début mai. Néanmoins, des amphis de la Sorbonne nous parviennent le bruit des manifestants. Certains impétrants arrivent, un pavé à la main, qu’ils posent en évidence sur la table. L’examen fini, me voici libre, libre d’aller manifester. Et je ne suis pas tout seul. Depuis que Nanterre a été fermée par le doyen, c’est l’ébullition. Je me souviens d’avoir participé à la première nuit d’occupation de la Sorbonne. Cette occupation allait être mémorable et allait durer, laissant les lieux dans un état pitoyable.
Mais qui s’en souciait ? Le grand amphi était plein à craquer. Chacun pouvait prendre la parole. C’était intéressant. Mais personne n’allait au fait. Pour que notre mouvement se fasse entendre, mon idée était que nous nous emparions des clés du pouvoir. La radio et la télévision en étaient la première clé. Naïf et ignorant de la structure autoproclamée, je me souviens que je pris la parole. Ma voix de futur professeur portait déjà, tout le monde m’écouta. À cet auditoire, avide d’action, je proposais rien moins que de partir à l’assaut de l’ORTF pour que notre mouvement fasse entendre sa voix et que le monde ouvrier, à notre écoute, se lève lui aussi et nous rejoigne. Je fus fort applaudi. Je m’attendais à ce que tous se lèvent et me suivent. Ma vision était politiquement juste, mais tactiquement sans lendemain. Je ne faisais partie d’aucun groupe, d’aucune organisation. Je mettrais des années à comprendre que la politique ne s’improvise pas et qu’une structure, même petite, est indispensable pour faire passer ses idées.
Mais l’heure n’était pas à la réflexion. Dehors, les barricades se dressaient, le Quartier latin était en ébullition, les avenues étaient dépavées, les voitures brûlées.
Ces événements ont été racontés mille fois. Je ne reviendrai que sur deux faits qui m’ont frappé : la solidarité et la fraternité. Jamais, je crois, mouvement ne fut aussi populaire. Spontanément, les rues, les places étaient pleines de gens de tout âge et de toute condition. L’ambiance était bon enfant. Chacun apportait ses idées, ses espoirs, son désir du changement, des sandwichs, des boissons, une bonne bouteille. C’était festif. On avait l’impression qu’un monde nouveau était à portée de main. Quelle griserie !
Le temps passe et la révolte étudiante inquiète car elle fait tache d’huile. Les ouvriers, les salariés bougent. Moi-même, quelques semaines plus tard, je fus dans les campagnes bretonnes. À mon grand étonnement, ces paysans, loin de tout, dans cette Bretagne reculée, étaient apeurés ! L’initiative astucieuse de Pompidou consistant à provoquer des élections anticipées fit le reste. À la mi-juin, la Sorbonne est évacuée, les grèves se terminent peu à peu. Mi-juin, ce sont aussi les vacances. Fin juin, les élections amenèrent une nouvelle Chambre « introuvable ». La contre-révolution triomphait.
Il est peu de mouvements spontanés qui aient « réussi ». Jamais les masses populaires ne se sont emparées du pouvoir sans la trahison d'une partie de la classe dirigeante. Les jacqueries, les révoltes d’esclaves se sont toujours mal terminées. Spontanée, idéaliste, la révolution de 1968 se heurta au plafond de verre de l’élite en place qui fit corps. Finalement, que reste-t-il de Mai 68 ? Le vol d’un idéal par des gens qui n’en avaient pas. La victoire des conservateurs sur la dynamique des jeunes, la défaite de la démocratie participative au profit de démagogues et de populistes et des privilégiés de tout poil.
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