Manifestations en Iran et clichés occidentaux

Ce n’est pas la première fois que la République islamique d’Iran est en proie à des manifestations de masse. Les plus emblématiques, celles du Mouvement vert, ont eu lieu en 2009, lors de la réélection contestée du président Mahmoud Ahmadinejad. Le pouvoir s’inquiéta alors, et non sans raison, de possibles manipulations venues de l’étranger. Aujourd’hui, après la mort de Mahsa Amini dans un commissariat pour voile mal porté, la révolte qui gronde n’est pourtant pas exactement comme les précédentes, ne serait-ce que parce que les mécontents ne sont plus seulement ceux des grandes villes et de la bourgeoisie aisée, mais aussi des provinces et des plus démunis. Et que cet « étranger », même si accompagnant médiatiquement le mouvement, n’en est en rien l’instigateur.

Certes, le décès de cette jeune femme est accidentel : les forces de l’ordre locales, même si non armées, sont munies de bâton et s’en servent très bien. Une bavure, donc. Comme celle des miliciens polonais qui, le 19 octobre 1984, tuèrent le père Jerzy Popiełuszko sans avoir voulu le tuer. D’ailleurs, en pleines discussions sur l’avenir de son nucléaire civil, Téhéran se serait bien passé d’un tel drame.

Mais il est vrai que tout ce qui touche à l’Iran déclenche des réactions plus cutanées que réfléchies. Tout d’abord, ce tropisme occidental laissant à penser que la planète entière rêverait de vivre comme les Occidentaux. Ensuite, cette autre idée reçue voulant que l’on regrette, là-bas, le chah d’Iran parce qu’il entendait occidentaliser son pays ; ce que, précisément, lui reprochait la majorité iranienne, lors de sa destitution, en 1979.

Pourtant, ce que les Occidentaux peinent à comprendre, c’est que le péché originel de Mohammad Reza Pahlavi ne fut pas de se comporter en autocrate, mais justement d’avoir été une créature occidentale ; lui dont le père, Reza Shah, fut installé sur le trône en 1953 grâce à une opération anglo-américaine ayant permis d’évincer le Premier ministre d’alors, Mohammad Mossadegh, certes laïc et communiste, mais avant tout nationaliste n’entendant pas brader gaz et pétrole iraniens aux compagnies américaines et anglo-saxonnes. Bref, l’ayatollah Rouhollah Khomeyni sut alors jouer du nationalisme iranien.

Qui ne prend pas ces données en compte se condamne à imaginer connaître l’Iran après avoir lu le Persepolis de Marjane Satrapi, ancienne enfant gâtée de la bourgeoisie de Téhéran. Pareillement, quiconque entendrait plaquer des schémas féministes sur la réalité sociologique iranienne se condamnerait à la même impasse. À ce titre, il convient de lire Delphine Minoui, journaliste franco-iranienne ayant longtemps couvert sa patrie d’origine pour Le Figaro. Le portrait qu’elle en dresse, même si plus que sceptique vis-à-vis du régime en place, est à mille lieues des idées reçues : Les Pintades à Téhéran (Jacob-Duvernet) ou Je vous écris de Téhéran (Points). Là, elle nous décrit la complexité de la société iranienne, rappelant ainsi qu’on peut être femme tout en militant pour le port du voile ou le contraire, et surtout expliquer que le nationalisme demeure le maître mot du peuple, ne serait-ce que par la guerre menée par Saddam Hussein dès septembre 1980, financée par les Saoudiens et diligentée par les Américains, contre le nouveau régime.

Seulement voilà, les générations ayant connu ces affres sont vieillissantes ou ne sont plus. Comparaison n’est pas raison, mais voilà qui nous renvoie à notre jeunesse ayant eu tôt fait, en mai 1968, d’oublier qui était le général de Gaulle pour le transformer en fasciste et les CRS en SS.

Mais là, l’agitation qui secoue le pays a plus à voir avec la situation économique et sociale qu’à une banale histoire de voile ou d’aspirations progressistes, comme souvent décrite par les médias occidentaux. Ainsi, ce gouvernement ayant fait de la renaissance de l’Iran en tant que puissance régionale la priorité première a peut-être oublié que de telles ambitions avaient un coût, entre éradication de l’État islamique et consolidation de cet arc chiite allant de Téhéran à Beyrouth tout en passant par Damas ; considérations bien lointaines d’une large partie de la jeunesse locale.

Dans le même temps, cette réalité nouvelle : la population iranienne a presque triplé depuis 1979, tandis que cette même jeunesse en représente désormais 65 % et n’a plus que faire des rêves de grandeur de ses dirigeants ; ce, d’autant plus que chômage et restrictions dues aux sanctions internationales ne lui laissent entrevoir que peu d’avenir. Sans oublier une corruption pour le moins endémique au profit de ceux qui, à l’instar des généraux du FLN en Algérie, ont fait leur pelote sur la guerre contre l’Irak. Soit des réseaux de plus en plus envahissants ayant une fâcheuse tendance à prendre plus qu’ils ne laissent au peuple ; ce qui explique grandement la colère de ce dernier.

Comme le note justement Amine Saikal, dans L’Orient-Le Jour du 8 octobre dernier : « Les chances d’un renversement du régime islamique semblent maigres. Mais l’effervescence qui saisit aujourd’hui l’Iran montre pourquoi des réformes structurelles sont absolument et immédiatement nécessaires et pourquoi, cette fois, les religieux auront beaucoup plus de difficultés à préserver le régime s’ils n’usent que de la force. » Une affaire à évidemment suivre de très près, à condition qu’on fasse l’économie des traditionnels clichés.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

7 commentaires

  1. Merci pour cet article, je trouvais effectivement que cette obsession monomaniaque pour la « libération des femmes » était un peu courte. Des tas de gens sont heureux dans des sociétés strictes, mais économiquement prospère.
    .
    Ce que je trouve curieux, c’est qu’après 60 ans d’intégrisme religieux parsemé de très nombreuses « bavures », ils se réveillent soudainement 15 jours après qu’on ait appris le soutien militaire du régime à la Russie (drones efficaces semble-t-il).
    Je n’ai aucune information là-dessus, par contre je sais que les USA font de l’agitation et des PSYOPS dans des tas d’autres pays, je trouve juste le timing étonnant.

  2. « Tout d’abord, ce tropisme occidental laissant à penser que la planète entière rêverait de vivre comme les Occidentaux. » Nous avons de bonnes raisons pour ça. Excepté la boussole et la poudre à canon, citez une seule amélioration historique de la condition humaine qui ne vienne pas de l’Occident. Arrêtez de baver avec les chacals qui glapissent sur notre décrépitude alléguée. Le vieillard a encore de beaux restes, il lui suffira de se libérer de l’emprise des oiseaux de malheur, qui le tiennent ligoté, pour en faire la preuve, renouvelées, devant le reste du monde.

  3. C’est lorsque l’on lit ce qu’il s’écrit sur le pays où l’on vit depuis plusieurs années que l’on se prend à douter de ce que certains médias racontent sur d’autres contrées où nous ne sommes jamais allés. Quand on habite « Saint-Pierre de la Réunion » et que nos courriers en provenance de Métropole transitent par « Saint-Pierre-et-Miquelon », on se dit que la Poste aussi peine en géographie.

  4. La Perse est le seul pays d’Islam qui possède une profonde culture propre, une Histoire millénaire . De ce fait la religion de Mohamed qui lui fût imposée « bécif » n’y a que des racines superficielles et il en fût toujours ainsi . Elle aspire à autre chose que vivre sous dictat du Prophète, tant pour ses femmes que pour ses mœurs fondamentales et considère la réussite économique de l’Occident très enviable .

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