Marie-France Garaud (1934-2024), le dernier homme politique de droite

À elle, désormais, la grande, l’éternelle paix.
Capture d'écran INA
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Elle avait 90 ans et s’était enfoncée, depuis quelques années déjà, dans la nuit cotonneuse d’Alzheimer. Elle avait oublié le monde, mais qu’y aurait-il eu qui fût digne qu’elle s’en souvînt, dans la France de 2024 ? Le monde politique et médiatique, d’ailleurs, l’avait oubliée en retour. Marie-France Garaud vient de mourir, et avec elle disparaît, comme un dernier symbole, tout un pan de la France des Trente Glorieuses.

Née en Poitou peu avant la guerre, elle avait reçu une éducation classique (du latin, du grec, du piano), « chez les sœurs », évidemment, comme Patricia dans Les Tontons flingueurs. Elle garda toute sa vie un côté « bourgeoisie de province » à la fois touchant et rassurant - totalement décomplexé, en tous les cas. Mariée jeune, deux enfants, un petit château dans les Deux-Sèvres, Marie-Françoise Quintard, épouse Garaud, aurait pu se satisfaire d’une vie ronronnante et sympathique, avec des dîners et des chasses, deux ou trois moments de grâce ou de douleur, et une mort paisible au-dessous d’un crucifix sombre dans un lit ancestral. Cela aurait été bien dommage. Marie-France Garaud, mécanique intellectuelle de premier ordre, était une femme de tête dans un monde politique très masculin, un monde de machos qui vivaient sur des prérogatives médiévales en ayant cessé de les mériter.

Avocate à Poitiers, puis assistante parlementaire de son ancien prof de droit, elle commence à accomplir son destin en 1969, quand Pompidou accède au pouvoir et que, forte d’un livre biographique qu’elle avait écrit pour le lancer, elle devient sa conseillère de l’ombre. Elle avait rencontré, deux ans plus tôt, un certain Pierre Juillet, très provincial lui aussi, au sens le plus noble du terme. Juillet, le chasseur qui fumait la pipe, Garaud, la flingueuse aux rangs de perle : ces deux-là porteront à bout de bras la campagne de Valéry Giscard d’Estaing, puis prendront sous leur aile le jeune Jacques Chirac. Aveuglée par le charisme du député de Corrèze, Marie-France Garaud pense qu’il incarnera la France de droite, ancrée dans la terre des pères, mais aussi moderne et confiante, une France à la fois chaleureuse et droite dans ses bottes. Fatale erreur : Jacques Chirac est un orientaliste contemplatif qui joue les soudards, une girouette narcissique qui se fait passer pour Cincinnatus. Elle ne l’a pas vu. Elle le fera élire maire de Paris en 1975, avant de le quitter avec ces mots cruels : « Je pensais que Jacques Chirac était du marbre dont on fait les statues. Il est en fait de la faïence dont on fait les bidets. »

Candidate à la présidentielle, pour le symbole, face à Mitterrand (et à Chirac), elle finit sous les 2 %. Législatives de 86, traité de Maastricht, opposition à l’intervention en Serbie, elle perd presque tous ses combats des tristes années 80 et 90, sauf les européennes de 1999 qui la propulsent au Parlement européen avec Villiers et Pasqua, jusqu’en 2004. Par la suite, on l’entendra de nouveau, en 2017, déclarer qu’elle va voter pour Marine Le Pen, objectivement la seule à incarner une partie de la France qu’elle aima - celle de la diagonale du vide -, sans pour autant rassembler la « bourgeoisie blanquette de veau », selon la très juste expression de Gabrielle Cluzel, cette bourgeoisie provinciale à la fois cinglante et tranquille, brillante et timide - cette bourgeoisie que Juillet et Garaud incarnèrent à la perfection.

Malgré son tailleur en tweed, son collier de perles et son impeccable chignon, malgré son indubitable féminité, Marie-France Garaud, dans l’écurie politique (une écurie de hongres qui se prennent pour des pur-sang), était le dernier homme politique de droite. À elle, désormais, la grande, l’éternelle paix. À nous la guerre qui vient.

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Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

26 commentaires

  1. Merci de cet article. Une grande dame. Désolé d’être critique, mais une autre pointure que Chaban Delmas! La Démocratie sans la Compromicratie.

  2. Elle fût la femme la plus puissante de France du temps de M. Pompidou… gare à ceux qui ont voulu l’ignorer. Chaban l’apprit à ses dépens.

  3. «  À nous la guerre qui vient. » Ce qui permettra de voir s’il reste des hommes capables de se battre pour que vive la France.

  4. Une grande dame incontestablement mais qui, néanmoins, a contribué à flinguer la candidature de Chaban Delmas.

    • Chaban Delmas avait précédé Juppé à Bordeaux.Tous deux avaient soutenu le calamiteux Chirac.Pas de quoi pavoiser !

  5. Je ne suis pas convaincu par le titre de « grande dame ». N’oublions pas qu’elle est le principal artisan de la trahison de Chaban en 74 et donc de la victoire de Giscard (dont elle reconnaitra qu’il a trahi la 5me, mais un peu tard). De même que je ne suis pas convaincu par Knafo, qui cherche à l’imiter. Ces « Pompadours » modernes ne me subjuguent pas.

    • C’est quand même autre chose que les égéries d’extrême gauche ,voire de MLP,qui elle cherche à imiter V. Pécresse,voire Hayet,ou Hidalgo.En effet,MLP n’avait-elle pas dit un jour qu’elle préférait mieux Montebourg que Zemmour ?

    • Entre Chirac et Giscard, quel est le cheval non boiteux qu’elle a choisi? Elle annonçait déjà Macron avec sa capacité à choisir et promulguer n’importe quelle branche, pourvu qu’elle soit pourrie. Parmi d’autres, elle n’a pas laissé sa place pour saboter la France sous prétexte de la rehausser.

  6. Sacrée bonne femme pour ceux qui l’ont connue, et quel courage, tous les mots faisaient mouche, une autre époque où ce n’était pas de jeunes paltoquets qui faisaient la loi.

  7. Quand j’écoute et j’observe Marion Maréchal et Sarah Knafo, j’ai la nette impression qu’une génération d’homme politique de droite est en train d’émerger. Seules l’expression orale, la coiffure et les codes vestimentaires trahissent notre époque.

  8. Dommage qu’elle n’ait pu lire cette belle oraison funèbre. Elle en aurait été toute réconfortée et qu’elle n’avait pas vécu pour rien.

  9. Figure incontournable de la politique française , soutien de Pompidou et Chirac , elle a apporté un air de fraîcheur dans le milieu politique misogyne de l’époque et restera comme la pionnière , la première femme a oser se lancer en politique.

  10. L’une des dernière grand monstre de la politique française sinon la dernière vient de s’éteindre dans un pays ou la chienlit , l’incompétence , la crétinerie a pris le pouvoir .
    Pauvre France qui sombre de plus en plus dans le chaos .

  11. Une grande dame vient de nous quitter. Elle mérite toute notre reconnaissance. Condoléances à sa famille. Merci à vous monsieur Florac de cet hommage.

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