Marine Le Pen compterait sur l’abstention pour battre Macron : est-ce bien raisonnable ?

MACRON LE PEN

Le Figaro nous a introduits dans les coulisses du débat Le Pen-Darmanin et nous apprend qu’il s’agissait, pour la présidente du RN, d’effacer le souvenir du débat raté de l’entre-deux-tours de 2017. On nous révèle donc que Marine Le Pen aurait fait du training avec un groupe d’énarques pour éviter tout soupçon d’incompétence. Mais le même article lève aussi le voile sur la stratégie de la candidate pour l’emporter face à Macron au second tour. La candidate et son staff compteraient sur un rejet tellement fort d’Emmanuel Macron qu’il entraînerait une très forte abstention, notamment à gauche, et permettrait l’élection de Marine Le Pen. D’après Le Figaro, son théorème serait le suivant : « En 2022, l’abstention sera militante contre Emmanuel Macron. » Décliné par l’un de ses proches : « Nous avons plus de chances que Macron perde plutôt que Marine ne gagne. »

Ainsi, Marine Le Pen aurait théorisé une élection par défaut, jusqu’au bout. Certes, une victoire, par définition, correspond toujours à la défaite et au rejet de l’adversaire. La famille Le Pen est bien placée pour le savoir. Et on peut aussi interpréter ainsi les victoires de Mitterrand en 1981, de Sarkozy en 2007, de Hollande en 2012. Mais il n’empêche : même les plus mal élus de nos Présidents de par leur score du premier tour ont toujours été portés par un élan positif, plus ou moins factice, plus ou moins profond. Il est l’un des secrets de la victoire. Ne compter que sur le rejet d’Emmanuel Macron serait une lourde erreur stratégique.

D’autant plus lourde que l’impopularité d’Emmanuel Macron et l’abstention qui en découlerait sont elles-mêmes très incertaines et toutes relatives. Malgré les crises et la situation exceptionnelle que traverse le pays, son impopularité n’a jamais retrouvé les points bas de la période « gilets jaunes » et les sondages montrent qu’il est moins impopulaire à ce moment de son mandat qu’un Sarkozy ou qu’un Hollande. Mais même en pariant sur une hostilité de l’électorat grandissante à son égard, le théorème s’annule de lui-même : très impopulaire, Emmanuel Macron ne pourrait se représenter (comme François Hollande) ou accéder au second tour. Marine Le Pen se retrouverait face à un candidat de gauche ou un remplaçant centriste contre lesquels, quels qu’ils soient, la stratégie anti-Macron ne serait d’aucune utilité. Où se situe donc le bon curseur de l’impopularité de Macron : très haut pour qu’il perde au second tour, mais pas trop pour qu’il y accède ?

De plus, la stratégie fondée sur l’abstention de la gauche ne correspond pas à sa tradition électorale. C’est un fait que l’électeur de gauche est toujours beaucoup plus civique que l’électeur de droite. Beaucoup plus légitimiste et docile aux consignes, aussi.

Enfin, le pari de l’abstention reste hasardeux car il peut se retourner contre le RN : à trop dévitaliser cette élection avec un casting déjà fait, Marine Le Pen risque d’apparaître comme la partenaire d’Emmanuel Macron dans ce « duo » que dénonce Christian Jacob. Sa stratégie de dédiabolisation qu’elle a poursuivie dans le débat de jeudi sous le regard d’un Gérald Darmanin ironisant sur sa « mollesse » risque de décourager certains de ses électeurs potentiels. Si, en plus, elle n’a pas réussi à convaincre la partie de la droite qui, pourtant sur une ligne très proche de la sienne, ne se reconnaît pas en elle, comme le montrent le départ de Jean Messiha ou l’intérêt que suscite la candidature d’Éric Zemmour, on voit mal comment elle parviendrait à faire le plein de ces voix qui lui seront indispensables.

Le sondage miraculeux plaçant Marine Le Pen à 48 % lui a peut-être donné des ailes, ainsi qu’à son entourage. Il ne leur a, en tout cas, pas rendu service en termes de réflexion stratégique.

Frédéric Sirgant
Frédéric Sirgant
Chroniqueur à BV, professeur d'Histoire

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