Maugein, la dernière usine française d’accordéons, vient de fermer…

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Avec la fermeture de l’entreprise Maugein, fondée en 1919 et produisant jusqu'alors des accordéons de fabrication 100 % française, ce n’est plus une page qui se tourne mais un livre qui se ferme.

Ah, l’accordéon… L’instrument méchamment tenu par les snobs pour « piano du pauvre », « piano à bretelles », « boîte à chagrins » ou, de manière plus triviale encore, pour « branle-poumons », demeurait pourtant emblème sonore de la France.

La preuve par Hollywood qui, dès lors qu’il s’agit de signifier qu’une scène a Paris pour cadre, se contente encore d’une carte postale de la tour Eiffel assortie de quelques notes… d’accordéon.

La France et l’accordéon ? Une grande histoire d’amour, donc. Les Espagnols ont la guitare, les Allemands le glockenspiel, sorte de rudimentaire carillon. Et nous… l’accordéon ; de Jo Privat, roi du bal musette, à Yvette Horner, égérie de la Grande Boucle, le Tour de France.

Accordéon, instrument français et si universel…

Et pourtant, ce fichu accordéon n’est pas tout à fait français, son lointain ancêtre étant… chinois. En effet, c’est sous le nom de sheng qu’on l’entend déjà, plus de 2.000 ans avant Jésus-Christ, avant d’essaimer du Japon jusqu’au Laos, sous celui de khên, et d’arriver au Danemark, en 1674. Il fera vite souche en Irlande ou en Écosse avant de se répandre dans le vaste monde, après la découverte de celui donné comme « nouveau ». Il sera donc caribéen et, surtout argentin, quand le bandonéon, son proche cousin, participe à la naissance du tango. À La Nouvelle-Orléans, il donne le zydeco, sorte de blues chanté en vieux français, dont le défunt et regretté Clifton Chenier demeure à jamais l’un des plus augustes représentants de ce piano de poche accommodé à la sauce créole. On le retrouve même au Maghreb, en Algérie, surtout. Et Cheb Khaled, l’une des étoiles du raï, cette musique dansante et un brin canaille, d’affirmer : « Mon instrument, c’est l’accordéon. Je l’ai appris à l’école de la rue. De naissance. Dans le temps, quand les gens fêtaient les mariages, il y avait le violon, l’accordéon, la darbouka, mais pas de trucs électroniques. Et l’accordéon donnait un son typique, oriental. C’est original, c’est un beau son. »

Du côté d’une musique tenue pour être plus « classique », il n’y a que l’embarras du choix. De Piotr Illitch Tchaïkovski à Kurt Weill, de Darius Milhaud à Sergueï Prokofiev, ce fichu piano à bretelles a toujours été mis à l’honneur.

D’Édith Piaf aux Négresses vertes…

Et c’est peut-être parce que cet instrument du pauvre est si universel qu’il demeure, aussi et surtout, si français. Il y a Édith Piaf, bien sûr. Mais Jacques Brel, il va sans dire. Lequel, lorsqu’il hurlait à son orchestre son fameux « Chauffe Marcel ! », s’adressait évidemment au maître du genre, Marcel Azzola, l’homme aux doigts d’or.

Et c’est en France que l’accordéon continua de traverser les générations, des fêtes au village à l’ancienne jusqu’au rock alternatif. Le premier à lui avoir rendu ses lettres de noblesses ? Gérard Blanchard, le rocker accordéoniste qui, avec son tube, Rock Amadour, remet un sacré coup de jeune à l’instrument des anciens, en 1981. Dans la foulée, il y a Les Innocents et Louise attaque. Sans oublier les zozos de La Mano Negra (mention spéciale à Manu Chao, leur leader altermondialiste en papier mâché qui continue encore de sévir) et les maestros des Négresses vertes (regrets éternels pour leur chanteur, Helno, poulbot autrement plus rigolo).

Ainsi, à la fin du siècle dernier, l’accordéon sait encore transcender les générations en un même frisson.

Maugein ou l’excellence française défunte…

Et Maugein a encore de quoi faire vivre ses ouvriers, même si passés de 150, à la fin des années 30, à 10, en 2024. Car il subsiste, chez cette légendaire entreprise familiale, plus qu’un savoir-faire : une sorte de magie. Jouer sur un Maugein, pour un accordéoniste, c’était comme souffler dans un cuivre de chez Selmer, la dernière marque de chez nous, dont le trompettiste Miles Davis fut, sa vie durant, l’un des clients les plus emblématiques.

Il paraît qu’aujourd’hui, les accordéons venus de Chine seraient moins chers. La belle affaire. Pour se consoler, prière de s’en remettre à Bourvil et à son Petit Bal perdu, là où ce piano du pauvre déployait d’étonnantes merveilles poétiques tant qu’harmoniques.

L’accordéon serait-il mort ? Non, tant que les amoureux guincheront en s’enivrant de baisers, en attente d’extases à venir. Bref, vive l’accordéon !

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

3 commentaires

  1. Et en plus on arrose la Chine de subventions . Ces élus n’ont tiré aucune leçon de la période covid ou nous manquions de tout parce que fabriqué en Chine . Ils ne font rien pour reprendre la souveraineté de ce pays , reconstruire des usines pour fabriquer à nouveau français et ne plus dépendre d’un tiers .

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