Maurizio Pollini, un pianiste exceptionnel
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Le ciel était sur la terre. À la Philharmonie, Maurizio Pollini jouait trois des dernières sonates de Beethoven, qui demandent une telle virtuosité que peu de pianistes les donnent en concert. À notre époque, saturée d’idées, nous avons besoin du langage propre à la musique pour rendre le mystère de notre condition humaine.
Ces sonates qui mêlent harmonie, dissonances, chant, fugue et variations, austérité et caprices à l’italienne, exaltation et rêverie, contemplation, n’ont jamais été jouées du vivant de Beethoven. Elles ont désarçonné le public de l’époque par leur excentricité, jusqu’à mettre sur le compte de la surdité de l’auteur le baroque d’une forme si éloignée de celle, académique, de la sonate, aux registres codifiés. Le public contemporain, lui, familier du dodécaphonisme et de l’atonalité, est ébloui de retrouver l’émotion d’un monde intérieur dans une forme inattendue, variée : en un mot, « moderne ». Heureux, aussi, de voir l’unité d’une œuvre avec ces fugues qui font écho aux derniers quatuors, magnifiques, de l’auteur.
On ne présente pas Maurizio Pollini, célèbre dans le monde entier. C’est un artiste immense qui construit une œuvre dans le temps à la perfection. Il y a trente ans, il avait donné, à Pleyel, l’intégrale des sonates de Beethoven. Quelle joie d’entendre à nouveau trois de ces dernières ! Année après année, le temps creuse le visage, intériorise l’émotion. Mais la vigueur, la violence titanesque, la virtuosité sont toujours là qui vont de pair avec la rêverie, la douceur, la contemplation. Le visage, qui exprime souffrance et apaisement, donne un sens au mot « grâce » qui n’est autre que l’ajustement du divin et de l’humain.
En trente ans de concert, de Debussy à Beethoven, Bach, Liszt, Nono, Boulez, on n’aura vu qu’une fois Maurizio Pollini avoir une partition. L’intelligence artificielle est à la mode : quel cerveau électronique remplacera jamais un pianiste exceptionnel ? Jamais aucun enregistrement ne rend ce moment d’éternité que celui du concert où la musique se fait sous les doigts et se lit sur un visage. Quelle leçon d’humanité dans la grâce et le travail ! Le public a accueilli ces sonates dans un silence inégalé. Il fit une ovation fervente à ce pianiste exemplaire dont l’art est un défi au temps.
L’intégrale des sonates de Beethoven, sous les doigts de Maurizio Pollini, se trouve dans un coffret peu cher. On peut aussi économiser pour écouter « une fois dans sa vie » ce que l’on n’entendra pas deux fois. La rentrée scolaire de cette année s’est faite « en musique. » C’est aux chefs-d’œuvre de la musique qu’il faut initier les élèves.
Dans Musique, mythe, nature, le musicien contemporain François-Bernard Mâche dit que la musique doit faire trouver « comme l’ébauche d’un sens dans ce monde », le critère de la réussite étant la joie. C’était cette joie que ressentit le public, ce jeudi 21 novembre. À travers Maurizio Pollini, sobrement vêtu d’un costume bleu sombre, c’était à l’auteur de l’Hymne à la joie, symbole de notre hymne européen, que la musique rendait aussi hommage, par-delà le temps.
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