Mauvais économistes et bons économistes durant la crise : trouver son chemin dans le brouillard !

BROUILLARD

Comme dans le sketch des Inconnus, il y a les bons et les mauvais économistes : les mauvais économistes réfléchissent un peu, parlent beaucoup, mais ce sont de mauvais économistes ; les bons économistes réfléchissent un peu, parlent beaucoup, mais ce sont de bons économistes !

Les mauvais économistes font comme s’ils savaient où va l’économie mondiale. Ils fournissent des chiffres sur ce que sera la décroissance du PIB, celle du chômage, etc. Déjà, en temps normal, les chiffres d’un exercice ne sont à peu près validés que six mois après le 31 décembre, et là, on fournit des prévisions 7 à 8 mois avant la fin de l’année ! Trop forts, les mauvais économistes ! Les mauvais économistes des organismes nationaux ou internationaux justifient leur salaire en utilisant des modèles de prévision obsolètes et inadaptés. C’est comme si on mettait des tomates dans une machine à trier les petits pois. Paradoxalement, les journalistes adorent ces chiffres frelatés sans lesquels ils se sentent tout nus, quitte à dire, ensuite, que « les » économistes se sont encore trompés.

Les bons économistes savent qu’ils sont dans le brouillard et ne font pas mine d’y voir comme en plein jour. Ils préfèrent une analyse théorique consistant à essayer de comprendre et à relier les événements actuels à ce qu’ils connaissent. Alors, les bons économistes disent qu’à leur humble avis, la situation actuelle est un mélange de deux styles de crise : les crises économiques et financières, parce que les éléments financiers sont présents, viennent de loin et font peser une menace considérable pour la suite (dettes accumulées privées et publiques). Mais il y a aussi une composante d’après-guerre à creuser qui fait plutôt penser aux dégâts subis pendant les conflits mondiaux et aux menaces d’inflation. Les bons économistes et les juristes allemands de la Cour constitutionnelle ont bien senti le danger.

Les mauvais économistes veulent le recours au protectionnisme, parlent de fermer les frontières pour produire des masques, des vêtements de sport et autres. Ils ne voient pas que le protectionnisme est le pire danger de ce type de situation. Si la grande récession de 2008 n’a pas tourné en Grande Dépression, c’est parce que tous les pays du monde ont été d’accord pour conserver la liberté des échanges plutôt que le « chacun pour soi-sauve qui peut » des années 30. Ils ne voient pas encore que les salaires de ces nouvelles usines seraient très bas, que la main-d’œuvre nationale n’irait donc pas y travailler et qu’il faudrait faire appel à l’immigration… mais ce sont de mauvais économistes !

Les bons économistes savent que l’économie française est l’une des plus exportatrices du monde et qu’elle a tout à perdre au protectionnisme. Ils savent aussi que la mondialisation a deux aspects, l’ouverture et la puissance, laquelle est indispensable pour affronter l’ouverture dans des conditions de succès ; que la France ne peut pas être, d’un côté, un pays « formidable » et, d’un autre côté, un pays incapable d’affronter la mondialisation. Ce fut le cœur du programme préparé par François Fillon et ça reste une donnée incontournable. Ils pensent aussi qu’il serait opportun de mettre en œuvre une réduction des impôts payés par les entreprises françaises, actuellement les plus élevés d’Europe, pour nous donner une meilleure attractivité et le soutien bienvenu aux investissements. Ils croient aussi que c’est une mesure favorable à la fois pour le court terme de la crise et le long terme de la croissance française. Enfin, ils pensent qu’il faut absolument retirer le principe de précaution de notre Constitution, comme le demandait la « commission Attali » en 2008, mais… ce sont de bons économistes.

Bernard Landais
Bernard Landais
Professeur Emérite de Sciences économiques, membre de l’Association Internationale des Économistes de Langue Française

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