[MÉDIAS] F. Taddeï à la tête de Marianne : la gauche « républicaine » en larmes

@Siren-Com/Wikimedia commons
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Changement de direction à Marianne. Jeudi 19 décembre, CMI France, propriété du magnat tchèque Daniel Křetínský, a annoncé renoncer à vendre l'hebdomadaire, après plusieurs tentatives infructueuses. Le groupe - qui détient également les titres Elle, Télé 7 Jours, Ici Paris ou encore France Dimanche - s’est dit engagé à sauvegarder les valeurs « républicaines, sociales et laïques » du magazine.

Pas suffisant pour rassurer tout un chacun, cependant. « Prenant acte des difficultés à trouver une solution de reprise externe pour Marianne, et particulièrement soucieuse de garantir la pérennité du titre », Natacha Polony a indiqué qu’elle quitterait son poste de directrice. La journaliste et essayiste, qui était en fonction depuis 2018, va conserver un éditorial hebdomadaire, mais sera remplacée à la tête du magazine par Frédéric Taddeï, à compter du 1er mars 2025. « Frédéric Taddeï, agitateur culturel reconnu, héritier de Jean-François Bizot, et dont la nomination est approuvée par Jean-François Kahn », cofondateur de Marianne en 1997, « apportera son originalité, son goût du pluralisme et son amour du débat », selon Denis Olivennes, président du conseil de surveillance de CMI France.

Tout comme Natacha Polony, Frédéric Taddeï est un visage connu du grand public. Ce Parisien d’extraction bourgeoise a fait ses armes dans les médias sélects, passant du magazine Actuel, en 1990, à la non moins branchée Radio Nova, où il tiendra une chronique littéraire, avant de rejoindre en 1994 l’équipe de Nulle part ailleurs, sur Canal+. Il anime ensuite les débats sur France 3, puis France 2 dans Ce soir (ou jamais !), de 2006 à 2016. Après l'arrêt de l’émission culte, il présente Interdit d'interdire sur la chaîne Russia Today, de 2018 à 2022. C’est notamment en raison de cette dernière expérience que l’homme se voit aujourd’hui vivement critiqué.

Un relais du pouvoir russe ?

Sur X, la journaliste de gauche Caroline Fourest a fustigé la nomination du sexagénaire à la tête de Marianne, la qualifiant d’« irresponsable ». « Cette décision m’afflige. Sous des airs "anar de droite" mondain, Frédéric Taddeï a toujours méprisé le journalisme. Il n’a jamais incarné, ni de près ni de loin, l’esprit "Marianne", républicain et laïque », a-t-elle fait savoir. Et d'ajouter : « Il adore tendre le micro aux complotistes et aux antisémites. Il a travaillé 4 ans pour Russia Today. Sa conception du débat a toujours été "5 minutes pour les Juifs et 5 minutes pour les nazis" (sans les présenter ou les qualifiant de simples experts). » Même son de cloche du côté d’Anne Sinclair, autre grande conscience de la gauche médiatique, qui estime que « l’engagement dans Russia Today jette de surcroît une ombre sur qui veut incarner le journalisme indépendant ».

Face aux critiques, Denis Olivennes a renouvelé sa confiance à Frédéric Taddeï. « Il a été à Russia Today. Ce n’était pas la chose la plus intelligente. Je ne l’aurais jamais fait. Il y a montré qu’il y était libre. Il en a démissionné quand la menace sur l’Ukraine a été avérée. Et à Marianne, il a un cahier des charges que j’ai énoncé précisément », a justifié le directeur général d'Editis et de CMI France.

Un vieux contentieux

La collaboration de Frédéric Taddeï avec le média russe ne semble pourtant pas être le cœur du problème. En 2018, Caroline Fourest étrillait déjà le présentateur de feu l’émission Ce soir (ou jamais !). « Quel que soit le thème, le débat finissait toujours par tourner aux mêmes obsessions, écrivait-elle alors. On affichait une discussion de très haut niveau, et l’on finissait par patauger dans la boue d’un site Internet complotiste. » Au-delà des sujets abordés, les invités n’étaient pas du goût de la journaliste. « Peu importe le sujet, je me trouvais confrontée à deux ou trois personnages étonnants venus multiplier les sous-entendus douteux sur le lobby ou l’ordre international, raconte-t-elle. Tous avaient en commun cette fibre paranoïaque. C’était même visiblement le critère pour être retenu parmi les "experts" de l’émission. En coulisses, l’animateur ne cachait pas ses préférences pour ses invités les plus sulfureux, islamistes, indigénistes ou complotistes. »

Doit-on donner la parole à tous ? Qui devrait être interdit d’antenne ? Selon quels critères ? Telles sont les questions que soulève la mésentente entre Caroline Fourest et Frédéric Taddeï. Les réponses ne sont pas évidentes. N’oublions pas que ceux qui s’inquiètent à raison de l’exposition médiatique offerte à une Houria Bouteldja - qui était inconnue au bataillon, avant son passage à Ce soir (ou jamais !) - sont aussi ceux qui taxent le Grand Remplacement de « fantasme » et Didier Raoult de « savant fou ». Cette gauche à la sauce Franc-Tireur, dite « républicaine », revendique le monopole de l’expertise, du sérieux et de la raison, mais débite des énormités sur bien des sujets. Il serait donc bien hasardeux de la laisser définir seule les périmètres du débat autorisé.

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Jean Kast
Journaliste indépendant, culture et société

Vos commentaires

6 commentaires

  1. Comme lorsque Geoffroy Lejeune a pris la direction du JDD, il est hallucinant de voir que des journalistes d’autres médias se permettent d’avoir leur mot à dire sur ce qu’il se passe chez leurs concurrents. C’est comme si un cadre de chez Toyota critiquait publiquement la nomination du nouveau PDG de Général Motors.

  2. Frédéric Taddeï est un excellent interviewer qui laisse ses invités s’exprimer.
    C’est évident qu’il dénote dans le milieu journalistique dont la seule obsession est de mettre sa propre personne en valeur en ne laissant finir aucune phrase à son invité.
    Souhaitons lui bon vent !

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