Médicaments : la France peut-elle retrouver sa souveraineté ?

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Alors que 80 % des principes actifs des médicaments sont fabriqués en Chine et en Inde, les inquiétudes sont légitimes, surtout « en temps de guerre ». Si le débat sur l’indépendance sanitaire est donc relancé avec la crise, quelques-uns avaient déjà tiré la sonnette d’alarme, et pourtant… « Il s’agit d’une problématique dont certains d’entre nous, dont je suis, sous-estimaient sans doute l’urgence et la complexité. Alors que l’accès sécurisé aux produits de santé est généralement pris pour acquis en France, nous avons pris la mesure, au cours de nos travaux, des nombreuses vulnérabilités qui fragilisent la chaîne du médicament. » Nous sommes en 2018, et ces propos sont d’Yves Daudigny, le président de la mission d’information du Sénat sur les pénuries de médicaments et de vaccins.

Il faut dire qu’année après année, notre position de grand pays pharmaceutique ne cesse de reculer : notre place de producteur de médicaments, de première, est devenue sixième en Europe (avec une part croissante d’importations, notamment de génériques et de médicaments innovants). Quelles sont les raisons de cette dégradation de nos positions ?

Fragilités du système

Délocalisation des sites de production, prix de nos médicaments les plus bas d’Europe, surenchère réglementaire et sur-réglementation, instabilité de la politique conventionelle État-industrie pharmaceutique décourageant les investissements faute de visibilité, concurrence faussée avec les produits chinois ou indiens qui peuvent être importés en Europe alors qu’ils sont fabriqués selon des normes environnementales et sociales très éloignées des normes imposées à nos industriels (donc moins chers). Tels sont les problèmes auxquels est confrontée la filière pharmaceutique française et pouvant expliquer les risques de pénuries liées à des ruptures de stocks…

Pourquoi la matière première de nos médicaments n’est-elle plus fabriquée en Europe ? Tout simplement parce que « l’Asie a d’abord un très vieux savoir-faire dans ces fabrications et a su les développer à des coûts très compétitifs. Nous avions aussi ces expertises, mais nous les avons perdues pour des raisons économiques. Pour les faire revenir, il faut d’abord que nous redevenions plus attractifs sur un plan industriel », explique, dans La Croix, Frédéric Collet, le président du LEEM (organisation professionnelle des entreprises du médicament).

Paroles, paroles, paroles...

Les ruptures de stocks et d’approvisionnement de médicaments ne datent pas du coronavirus : « Depuis mars 2019, on constate 652 ruptures d’approvisionnement contre 400 en 2014. Ces ruptures sont toujours plus nombreuses avec des durées de plus en plus longues : 60 jours en mars 2019 contre 35 un an auparavant. Il s’agit d’un sujet particulièrement complexe car multifactoriel, qui relève de la responsabilité des entreprises mais également de l'ensemble des acteurs de la chaîne », relatait, l’an passé, Philippe Lamoureux, directeur général du LEEM.

Tandis que, dans sa « déclaration de guerre », Emmanuel Macron annonçait solennellement : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner […] à d’autres est une folie », les Français en général, et la filière pharmaceutique en particulier, attendent une vraie vision et une véritable volonté politique. Selon un sondage Odoxa-Comfluence pour Les Échos : « Jugé mauvais sur sa communication jusqu’à présent, le Président doit promettre aux Français un “monde d’après” en rupture totale avec le précédent [...] 91 % veulent que l'exécutif favorise la recherche et la production des laboratoires pharmaceutiques français et étrangers dans notre pays. » Le gouvernement sera dans l'obligation de revoir sa politique financière. C’est-à-dire sa politique de prix et l’incitation à produire en France des médicaments remboursés par les cotisations des Français et des entreprises.

Défendre le « made in France », attirer de nouveaux investissements, restaurer la capacité de la France à assurer son approvisionnement en principes actifs et en médicaments. Puisse, « le jour d'après », cette communication de crise se répercuter en actes concrets. Car, en résumé, nous démantelons chez nous notre savoir-faire industriel pharmaceutique, nous le cédons à la Chine, quelques années après, elle importe, avec notre consentement, le virus et bientôt les moyens de le combattre. C'est sans doute cela que nous appelons la mondialisation heureuse...

Iris Bridier
Iris Bridier
Journaliste à BV

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