Mélenchon a-t-il vraiment comparé l’exécutif au régime nazi ?

Revenons, avec un peu de recul, sur la polémique provoquée par le discours de Jean-Luc Mélenchon, le 23 septembre à Paris.

La plupart des commentaires enflammés qui ont suivi dénoncent cette formule : « C’est la rue qui a abattu les nazis. »

Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement, d’estimer sur Twitter qu’il est « indigne de porter ces couleurs (l’écharpe tricolore de député) quand on mêle démocrates et républicains à la fange nazie ».

Quant à Muriel Pénicaud, elle a jugé, dimanche, au "Grand Rendez-vous CNews-Europe1-Les Échos", ces propos « indignes » et « honteux », se disant « choquée ».

Le problème, c’est que Mélenchon n’a jamais comparé l’exécutif au régime nazi. Nos deux ministres ont fait ce que font les mauvais journalistes : sortir un bout de phrase de son contexte – ou le reprendre sans vérifier leurs sources – pour lui faire dire ce qu’il ne disait pas.

Dans ce passage de son discours, le leader de La France insoumise répondait au chef de l’État, qui avait déclaré sur CNN International que « la démocratie, ce n’est pas la rue ».

Il vaut la peine de le citer complètement : « Monsieur le Président, il vous reste à consulter l’Histoire de France pour apprendre que c’est la rue qui a abattu les rois, c’est la rue qui a abattu les nazis, c’est la rue qui a protégé la République contre les généraux félons en 1962 [ …], c’est la rue qui a obtenu la quatrième semaine de congés payés en 1968 […], c’est la rue qui a abattu le plan Juppé […], c’est la rue qui a obtenu le retrait du CPE […], c’est la rue toujours qui porte les aspirations du peuple français lorsqu’il ne peut les faire entendre autrement. »

On a beau chercher, on ne voit rien, dans cette énumération, qui fasse un "amalgame" entre nos gouvernants et le régime hitlérien. Si l’on peut reprocher quelque chose à Mélenchon, ce sont ses approximations historiques et le choix partial de ses exemples.

Car ce n’est pas la rue qui a chassé les nazis : ce sont les troupes alliées, en lien avec la Résistance.

De même, soutenir que la rue "a abattu les rois", c’est réduire la Révolution de 1789 à une image d’Épinal.

Quant aux "généraux félons en 1962", non seulement Mélenchon se trompe d’une année – le putsch eut lieu en 1961 – mais, sans revenir sur les conditions dans lesquelles de Gaulle a mis fin à la guerre d’Algérie, on peut légitimement se demander si ces généraux étaient des félons ou des officiers fidèles, jusqu’au bout, à la parole donnée.

Ses références historiques relèvent aussi de la partialité. Il aurait pu citer d’autres victoires, incontestables, de la rue.

Par exemple, la mobilisation exceptionnelle du 24 juin 1984, qui contraignit François Mitterrand à retirer le projet de loi Savary. Ou encore, en 2013, les manifestations géantes contre le mariage pour tous qui, si elles n’empêchèrent pas la loi d’être adoptée, firent reculer le gouvernement sur l’élargissement de la PMA.

Mais, pour Mélenchon, ce peuple n’était sans doute pas le bon...

De cette polémique, on peut, semble-t-il, tirer deux leçons. Il faut éviter de se laisser emporter par son talent de tribun, son goût de la rhétorique, l’emploi excessif de l’anaphore. Mieux vaut peser tous ses mots. D’autre part, avant de commenter un propos, il faut avoir la prudence et l’honnêteté intellectuelle de ne pas l’extraire de son contexte.

C’est peut-être trop demander à ces commentateurs qui succombent trop facilement au préjugé de la précipitation.

Ils devraient méditer les conseils des philosophes du XVIIIe siècle auxquels ils aiment se référer : ils éviteraient ainsi, comme l’écrit Fontenelle, "le ridicule d’avoir trouvé la cause de ce qui n’est point".

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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