Michel Bouquet fait honneur à la Légion d’honneur
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Le 14 juillet est passé, avec son défilé militaire, ses feux d'artifice, ses incendies de voitures et sa promotion de la Légion d'honneur. Napoléon Bonaparte doit se retourner dans sa tombe devant la liste des promus, bien qu'il fût conscient des dérives possibles. À son ministre de la Guerre, hostile à ces distinctions qui portaient atteinte, selon lui, au principe de l'égalité civile, il répliqua : "Vous les appelez les hochets, eh bien, c’est avec des hochets que l’on mène les hommes." Quand on voit la promotion du 14 juillet, on se dit que rien n'a changé – ou que tout a empiré – et que cette récompense des "services éminents" rendus à la nation est devenue une sorte de prime à la réussite, qui scelle la collusion des puissants.
Bien sûr, il faut exclure de cette critique tous les officiers, sous-officiers et soldats, tous les policiers, tous les simples citoyens qui ont vraiment mérité de la patrie (quel vocabulaire suranné !) en risquant ou en perdant leur vie, de façon désintéressée. Pour beaucoup d'autres - chercheurs, hauts fonctionnaires, artistes, élus -, chacun évaluera quelles connivences, quelles intrigues, quelles arrière-pensées ou quelle vanité leur ont valu cette marque d'honneur. Baudelaire écrivit : "Si un homme a du mérite, à quoi bon le décorer ? S'il n'en a pas, on peut le décorer, parce que cela lui donnera un lustre." Son propos est toujours d'actualité.
Ces réserves faites, il faut reconnaître que, parmi les personnalités civiles retenues, certaines semblent mériter plus que d'autres d'être distinguées. C'est le cas de Michel Bouquet, 92 ans, élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d'honneur. Fils d'un officier et petit-fils d'un cordonnier, il intègre le Conservatoire d'art dramatique où il apprend le métier d'acteur. C'était l'époque où l'on ne concevait pas de monter sur les planches ou de tenir un rôle dans un film sans un apprentissage rigoureux "par le travail et la discipline, par l'imagination vive et la sensibilité", comme disait Louis Jouvet.
Michel Bouquet a mené une immense carrière au cinéma et au théâtre. "Je suis un anarchiste calme", aimait-il à dire, non sans ironie, pour illustrer l'image qu'on se faisait de lui. Il n'a pas fait sa publicité dans la presse people ou la presse à scandale, mais en exerçant son métier avec l'humilité de ceux qui savent que tout est perfectible. D'une extrême courtoisie, il aimait son public et son public le lui rendait.
Il est associé aux plus grands noms. Il tint son premier rôle au cinéma dans Monsieur Vincent, en 1947, aux côtés de l'inoubliable Pierre Fresnay. Il travailla avec Claude Chabrol et François Truffaut, côtoya Jean-Paul Belmondo, Jeanne Moreau, Alain Delon, Lino Ventura, Jean Carmet et bien d'autres encore. Comme comédien, il débuta au théâtre de l'Atelier avec Jean Anouilh, interpréta L'Avare de Molière, Le Neveu de Rameau de Diderot, Le roi se meurt de Ionesco, En attendant Godot, de Samuel Beckett, enrichissant ces chefs-d'œuvre de sa présence singulière.
Ces derniers jours, la rumeur a couru sur Twitter qu'il se serait éteint. Plaisanterie macabre ! S'il est bien à la lisière de la mort, il a déjà atteint, de son vivant, une forme d'immortalité. Il aurait pu refuser cette nouvelle distinction, comme Marcel Aymé, autre anarchiste à sa façon : critiqué pour ses romans dénonçant les excès de l'épuration et les résistants de la dernière heure, il se vit honorer, quelques années plus tard, de la Légion d'honneur, qu'il refusa "par respect pour l'État et pour la République".
Le talent reconnu de Michel Bouquet ne gagnera rien à cette nouvelle distinction. Mais, si d'autres nominations sont contestables, personne ne pourra dire que la sienne est imméritée.
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