Milan, une université annule un séminaire sur Dostoïevski : la russophobie primaire, une défaite de l’intelligence

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Début mars, les organisateurs du Festival de la photographie européenne de Reggio Emilia, en Italie, ont annulé toutes les expositions consacrées à la culture russe : « L’art et la culture devraient toujours construire des ponts et non élever des murs ; toutefois, nous ne pouvons nous retirer dans notre tour d’ivoire : il y a un temps pour affirmer avec fermeté le droit des peuples à vivre en paix et un temps pour s’ouvrir au dialogue et au débat, sans que la violence et la mort ne soient invitées à table. » Ainsi, les œuvres de plusieurs photographes russes ont été éjectées, y compris celles d’Alexander Gronsky… qui, deux jours auparavant, a été arrêté par la police russe alors qu’il manifestait à Moscou contre l’invasion de l’Ukraine.

De purs génies….

Puis, ce fut au tour de Dostoïevski de subir la censure bien-pensante de l’intelligentsia italienne : à Milan, à l’université Bicocca, un séminaire sur Dostoïevski a été annulé. Le professeur Paolo Nori, romancier, traducteur et spécialiste de la littérature russe, a fait part de la décision du rectorat de l’université dans une vidéo où il laisse voir son désarroi, son émotion, sa tristesse face à cette débauche de stupidité. Lisant le courrier lui faisant part de cette décision - « Le but est d’éviter toute forme de polémiques, surtout internes, en ce moment de fortes tensions » -, il en perd ses mots. Il reprend : « Non seulement être un russe vivant est une faute aujourd’hui en Italie, mais être un russe mort, aussi. Quand il était vivant, Dostoïevski a été condamné à mort en 1849 pour avoir lu un livre interdit. Une université italienne qui interdit un cours sur Dostoïevski à cause de la situation en Ukraine est quelque chose que je ne peux pas croire. » Il termine, des sanglots dans la voix : « C’est justement en ce moment que l’on doit encore plus parler de Dostoïevski. » L’affaire a fait le buzz, cette vidéo, fort émouvante, étant devenue virale. Le rectorat de l’université a très rapidement fait marche arrière, plaidant « un malentendu ». Paolo Nori a, quant à lui, déclaré que son séminaire aurait lieu… ailleurs.

Entendons-nous bien, l’Italie n’est évidemment pas le seul pays à stupidement annuler des manifestations artistiques d’artistes russes, vivants ou morts. Tout récemment, l’orchestre philharmonique de Cardiff a retiré de son programme les musiques de Tchaïkovski. En France, la Philharmonie de Paris a annulé les concerts de l’orchestre du théâtre Mariinski. À Londres, le Royal Opera a effacé de son agenda les représentations du Bolchoï prévues cet été. Au Met Opera de New York, des artistes considérés comme pro-Poutine sont mis au ban : « En tant qu'opéra international, le Met peut aider à sonner l'alarme et contribuer au combat contre l'oppression », explique le directeur général du Met.

Rien de moins.

Qu’est-ce que cette version antirusse de la cancel culture dit de notre société occidentale ? Déclinée sur le mode de la russophobie la plus primaire, elle est le fruit d’une société occidentale avachie, abêtie, incapable de réfléchir sinon sur un mode binaire, simpliste. La société occidentale est devenue l’ennemie de la nuance, du débat, la culture n’est plus qu’un simple moyen de propagande, de promotion d’idéologies, d’autodestruction. On n’a jamais autant détruit, sapé les fondements de notre civilisation que depuis que l’on proclame l’impératif moral « de construire des ponts et non des murs » entre les cultures, entre les peuples : la censure est devenue le bras armé de l’indifférenciation culturelle.

Imagine-t-on une seconde que de telles vexations, imbéciles et infondées, ne vont pas renforcer – et à juste titre – le sentiment patriotique russe ? Aiguiser, susciter un sentiment patriotique par des humiliations plutôt que par l’exaltation d’une fierté, d’une grandeur, est toujours dangereux, l’Histoire nous l’a montré.

Alors, que cherche-t-on par ces mises au ban ?

Andreï Makine, académicien d’origine russe, dans un remarquable entretien accordé au Figaro, se désole de tout cela : « C'est le meilleur moyen, pour les Européens, de nourrir le nationalisme russe, d'obtenir le résultat inverse de celui escompté. Il faudrait au contraire s'ouvrir à la Russie, notamment par le biais des Russes qui vivent en Europe et qui sont de manière évidente pro-européens. Comme le disait justement Dostoïevski : “Chaque pierre dans cette Europe nous est chère […] Notre continent est un trésor vivant, il faut le protéger. Hélas, on préfère prendre le contre-pied de cette proposition : bannir Dostoïevski et faire la guerre. C'est la destruction garantie car il n'y aura pas de vainqueur. »

Puisse cette lucidité désespérée inspirer tous ceux qui se rendent coupables de cette russophobie ordinaire.

Marie d'Armagnac
Marie d'Armagnac
Journaliste à BV, spécialiste de l'international, écrivain

Vos commentaires

43 commentaires

  1. Je n’en doutais pas un seul instant mais cela confirme que pour le camp du « bien », le : « PADAMAAALGAAAMEEE ! » ne doit s’appliquer QU’À des gens de certaines origines, issus d’une certaine communauté, pratiquant une certaine « religion » ainsi qu’une certaine vue d’esprit du fumeux « vivre-ensemble » qui ne peut exister que sous le diktat de leurs propres règles. Tous ceux qui sont en dehors doivent eux être identifiés et amagalmés comme étant le Mal incarné qu’il faut détruire à tout prix.

  2. Devant tant de médiocrité du monde de la culture occidentale je reste bouche bée. Ils sont devenus fous.

  3. mais ces bobos gauchos croient ils vraiment que le monde entier déteste le peuple russe ??? bien entendu, ce qu’ils pensent est vrai, n’est ce pas ? et les malheureux handicapés russes privés des jeux olympiques ? c’est humain çà ??? personnellement je hais les hommes politiques qui se croient tout permis et les autres, « bien pensants » bien entendu !

  4. Heureusement personne ne nous empêche encore d’écouter les oeuvres des compositeurs russes, dirigés et interprétés par des russes ! Enfin pas trop fort, les murs ont des oreilles aussi !

  5. La bêtise… rien d’autre. Elle est partout. C’est le problème n°1 car elle est dangereuse, elle peut tuer.

  6. Nous vivons une immense régression de l’intelligence.
    Les instincts primitifs sont de retour.
    La réflexion, la subtilité ont disparu.
    Nous nous enfonçons dans la bêtise crasse dans tous les domaines.
    Les occidentaux ont été décérébrés, ils sont devenus des moutons bêlants soumis à la propagande des chaînes infos.
    Il suffit de voir les pronostics de vote pour Macron.
    Les Français qui n’ont plus aucune mémoire ont déjà oublié son bilan désastreux et s’apprêtent à le réélire dans un fauteuil.

    • Où est on censé apprendre à réfléchir, à analyser à décider après réflexion? à l’école? on voit ce qu’elle est devenue, on en voit les résultats… Dans les familles? quand les parents sont les produits de l’école de ces 40 ou 50 dernières années? ou quand ces parents se réfèrent à des enseignements religieux dogmatiques et intolérants?

  7. Compte tenu de l’attitude belliqueuse des États Unis depuis 70 ans, ne devrait-on pas interdire plutôt tous les films et séries télévisées qui nous viennent de ce pays , vestige d’un plan Marshall qui n’a plus lieu d’être.

  8. je ne comprends plus rien :moi qui, fervent admirateur de la déclaration des droits de l homme croyait savoir que » nul ne peut etre inquiété du fait de ses opinions » ne peut pas imaginer que l on prive de travail ou de revenus ou encore du droit de propriété des personnes qui auraient des opinions différentes… cela me semble etre pourtant le cas : mais fort heureusement je suis certain que les instances privées et publiques dédiées a la liberté et a la démocratievont intervenir….

  9. Pendant ce temps on va nous abreuver d’expos a l’Institut Arabe et d’horreurs occidentales modernes vulgaires …
    Cette façon de procéder montre que nous n’avons pas l’intelligence que nous prétendons avoir ne serait ce qu’en diplomatie. « On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre ». disait on autrefois…mais c’était «  autrefois »

  10. je pense en effet que la bêtise humaine est sans limite, dès l’instant où au delà des annulations débiles citées dans l’article, on en arrive à même interdire dans une exposition féline des chats originaires de russie !!! c’est du même tonneau que d’obéir à l’injonction de se signer des  » autorisation de sortie » à soi même pendant la pandémie !!
    Le constat de vivre une  » fin de civilisation » est affligeant, mais personne n’est obligé d’y participer.

    • vous avez aimé boycotter et taguer les restaurants Chinois au début de l’épidémie Covid, vous aimerez boycotter et taguer les restaurants Russes….que voulez vous, il faut bien hurler avec les loups! Que le personnel de ces restaurants soit Français, la plupart des produits cuisinés Français, que les impôts aillent à Bercy et non à Moscou ne change rien à l’affaire. Comme l’ a si bien chanté Georges Brassens: « Ce n’est pas la veille qu’on détrône le roi des cons »

  11. C’est ridicule mais c’est une question d’intelligence et de culture et là, comment dire, il y a comme un défaut

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