Mise en service de l’EPR de Flamanville : nouvel envol ou feu de paille ?

© JKremona Wikipedia CC BY-SA 4.0
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En cette rentrée morose où les difficultés politiques, économiques et sociétales s’amoncellent, une bonne nouvelle est passée quasi inaperçue : l’EPR de Flamanville a enfin envoyé ses premiers électrons sur le réseau. Il s’agit des premiers réacteurs nucléaires mis en service depuis ceux de la centrale de Civaux, voici un quart de siècle. Enfin, car cette mise en service intervient avec quatorze années de retard (elle était initialement prévue en 2010) et pour un budget multiplié par cinq (19,5 milliards d'euros, contre 4 milliards d'euros prévus). Il est, à ce stade, intéressant de revenir sur les raisons structurelles de ces dérives à la fois temporelle et budgétaire.

Bien que restée une naine politique sur le plan électoral, l’écologie politique a eu, au cours des trois dernières décennies, une influence titanesque sur les politiques énergétiques des pays européens. Appelée comme appoint parlementaire dans de nombreuses coalitions gouvernementales de gauche comme de droite, elle a très chèrement négocié son appui en faisant notamment de l’émergence des renouvelables et de la réduction du nucléaire une condition obligée à sa participation.

L'Allemagne a été le premier pays au monde à envisager l´arrêt de ses centrales nucléaires via la « Loi atomique » votée en 2002 par la coalition des sociaux-démocrates et des Verts dirigée par Gerhard Schröder. De même, le gouvernement « arc-en-ciel » belge rassemblant libéraux, socialistes et écologistes adopta, en 2002, une loi interdisant la construction de nouveaux réacteurs nucléaires et limitant à un maximum de 40 ans la durée de vie des sept réacteurs construits dans le plat pays.

Une longue croisade antinucléaire

S’il n’y a jamais eu, en France, de réelle volonté politique de sortir du nucléaire, la filière a souffert d’attaques incessantes portées par la gauche en général, et les Verts en particulier, depuis la fin du siècle dernier. La croisade antinucléaire débuta en 1977 et se cristallisa, dans un premier temps, autour de la construction du surgénérateur Superphénix. Lors de leur participation à la « gauche plurielle » de Lionel Jospin, les Verts représentés à l’époque par Dominique Voynet auront la peau de Superphénix. Quinze ans plus tard, l’accord électoral entre François Hollande et les Verts scellera la mort de Fessenheim et du projet ASTRID. La mise en service de Flamanville signifie-t-elle, pour autant, un nouvel envol pour le nucléaire français ?

Le virage à 180° du Président Macron lors de son fameux discours de Belfort est certes louable. Le grand carénage des réacteurs existants et la construction potentielle de quatorze EPR (dont six ont été mis en chantier à ce jour) seront insuffisants pour totalement décarboner l’électricité française à l’horizon 2050. Selon l’Institut Sapiens, une décarbonation totale réclamerait trente-deux EPR, soit la mise en service d’au moins deux EPR par an à partir de 2037 (contre un seul dans le plan actuel).

La perte des compétences

En vingt ans d’inactivité, la France a inexorablement perdu son leadership historique au profit de la Chine et de la Corée. Comme déjà mentionné, la dernière centrale nucléaire (Civaux) fut raccordée au réseau en 1999. Cet arrêt quasi total de l’activité depuis 25 ans a profondément perturbé la pyramide des âges de la filière et empêché la transmission du savoir-faire entre générations. Maîtrise d’œuvre, aptitude à gérer de très gros chantiers, compétence des bureaux d’études, disparition des fabricants de composants : la liste est longue des dégradations du savoir-faire. Les très nombreux incidents et malfaçons observés sur Flamanville illustrent ce manque de compétences se traduisant notamment par une pénurie en soudeurs et en tuyauteurs qualifiés.

La nation arrivera-t-elle à reconstituer, dans les années à venir, cette indispensable « force de frappe » ? C’est là que se situe le principal défi du futur énergétique français. Au monde politique d’assurer, maintenant, stabilité, continuité et constance. Quant on connaît la position antinucléaire des Verts ou des Insoumis, rien n’est moins sûr !

Philippe Charlez
Philippe Charlez
Chroniqueur à BV, ingénieur des Mines de l'École polytechnique de Mons (Belgique), docteur en physique de l'Institut de physique du globe de Paris, enseignant, expert énergies à l’institut Sapiens

Vos commentaires

31 commentaires

  1. hélas c’est pour tout pareil! dans le bâtiment dans les collèges techniques, le désamour des métiers du bâtiment, a commencé dans le début des années 70, allant même jusqu’a fermer certains établissements faute d’élèves. A cette époque, la plupart des profs étaient d’anciens du bâtiment, gros oeuvre, et second oeuvre, et les élèves sortis de ces établissements étaient bien formés, ils devenaient de très bons ouvriers 3 , 4 ans plus tard, au contact des anciens, et des chantiers. Quand ils ont voulu relancer la filiale bâtiment, les anciens profs étaient disparus, ou retraités, plus de transmissions, les nouveaux profs, pour bien des cas, j’en ai connu, étaient d’anciens ouvriers du bâtiment, qui étaient très loin d’avoir le niveau pour être de bons ouvriers, ( c’est comme pour le ski, si le moniteur, ski tordu, il formera des skieurs tordus ! CQFD ) j’ai dû hélas passer par ce genre d’ouvriers dits qualifiés, a qui il fallait tout réapprendre, heureusement il restait encore les écoles de compagnonnages, qui forment depuis toujours, l’élite des apprentis, un trésor national, qui forment des ouvriers de grande compétence, après leur formation ils peuvent, s’ils le veulent, entreprendre un tour de France passant par les plus grandes entreprises françaises très hautement qualifiées travaillant beaucoup pour les monuments historiques. Voila a quoi doit revenir notre pays, qui a un passé si riche, et connu dans le monde.

  2. Dans la litanie des causes structurelles des retards de Flamanville, n’oublions pas la multiplication des normes administratives de « sécurité », à fréquence annuelle et directement inspirées par les Verts allemands (donc européens).

  3. La foirade d’EdF-Areva a Flamanville a été précédèe de celle d’Areva a Olkiluoto en Finlande Lancée en 2003, la construction de ce premier EPR, devait m’alimenter en électricité le 1° juillet 2009 à Helsinki! Voyant la catastrophe, Areva a poussé EdF a lancer Flamanville en décembre 2007, en espérant le terminer avant le Finlandais. Patatras, ils ont répétés copier-collé, les mêmes bourdes, malfaçons, erreurs,….et en rajoutant!!

  4. Je ne comprends pas pourquoi les écolos sont contre le nucléaire. C’est 100 fois plus polluant que les centrales au charbon. Mais bon ils ne savent pas non plus qu’une centrale nucléaire ne pourra jamais exploser comme une bombe atomique. C’est impossible l’uranium est enrichi à 7% alors qu’il faut 99% pour une bombe atomique. A Tchernobyl ils ont fait une expérience stupide et arrêtant des sécurités et c’est l’hydrogène (les cendres du réacteur) qui a explosé , ça a soulevé une dalle en béton qui est malheureusement retombé sur le cœur du réacteur produisant des radiations. A three miles Islande elle a trop chauffée et elle a grillée. C’est les 2 seuls cas d’accidents dans le monde. Alors pourquoi être contre les centrales nucléaires ?

  5. Si la crétinerie politique n’avait pas saboté intentionnellement le savoir faire français en matière de nucléaire,histoire de faire plaisir aux écolos,allemands et français,l’EPR fonctionnerait déjà et nous aurait coûté moins cher.En fait ce n’est pas l’EPR,qui est onéreuse,c’est l’idéologie écologiste.

  6. Les réfractaires à l’EPR se complaisent à souligner son surcoût,soit 19 Milliards.Sûr que c’est très cher.Mais d’un autre côté,la contribution annuelle de la France à l’UE s’élève à 21,6 milliards,dont seuls quelques milliards nous sont reversés après partage avec tout le monde.

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