Mises à la poubelle, les canettes de bière étaient en fait… une œuvre d’art

Après avoir tout renié, l'art contemporain finit... en trompe-l'œil !
A. Lavet, "Tous les bons moments passés ensemble" © LAM Lisse
A. Lavet, "Tous les bons moments passés ensemble" © LAM Lisse

L’histoire débute comme L’Oreille cassée. Parcourant les salles du LAM, musée de Lisse entre Leyde et Amsterdam, un responsable s’aperçoit qu’une œuvre a disparu. Branle-bas de combat! Au voleur! Les équipes se mettent à sa recherche. « La conservatrice Elisah van den Bergh, raconte le musée, a finalement découvert l'œuvre d'art dans un sac poubelle. » Mais comment a-t-elle atterri là ? Élémentaire, mon cher Watson : composée de deux canettes en aluminium, vides et cabossées, minutieusement peintes à l’acrylique pour simuler des canettes Jupiler, elle a été prise pour un simple déchet.

Minimalisme, contexte et concept

Intitulée Tous les bons moments passés ensemble (2016), l'œuvre est signée Alexandre Lavet, plasticien français né en 1988. Sa pratique mêle « minimalisme, héritages de l'art contextuel et conceptuel », jouant du paradoxe d’« une conception laborieuse pouvant être interprétée comme un vulgaire ready-made apathique, à la limite du visible ». Bref « il tente de questionner la notion même d'œuvre d'art ». Tous les poncifs de l’art contemporain n’y sont pas, mais tout est poncif, là-dedans. Les autres œuvres de Lavet sont des « sculptures » qui imitent des cartels de musée, des fac-similés de feuilles mortes en papier cuisson ou, dans la série « Les oubliés », une gomme, deux clous, un bout de scotch…

Le LAM lui-même a contribué à la méprise entre œuvres et déchets. Il revendique d’exposer des œuvres dans des lieux « non conventionnels ». Les canettes du maître étaient posées dans la cage d’ascenseur vitrée du musée, « comme abandonnées par les ouvriers du bâtiment ». Victime de cette mise en scène digne d’une caméra cachée de Marcel Béliveau, l’ascensoriste, venu vérifier le bon fonctionnement de l’appareil, a trouvé les canettes et… ce qui devait arriver arriva. Récupérées, elles ont été installées de façon plus banale mais plus sûre : sur un socle traditionnel.

« Des ordures soigneusement choisies »

En 2001, dans une galerie londonienne, c’est une œuvre de Damien Hirst faite de mégots, de bouteilles de bière vides et de vieux journaux que l’homme d’entretien met à la poubelle. En 2004, au Tate Britain de Londres, un sac-poubelle exposé par Gustav Metzger (sous le titre pompeux de Nouvelle Création de la première présentation publique d'un art auto-destructif) finit lui aussi aux ordures. En 2014, à Bari, une femme de ménage balaye du papier journal, des cartons et des biscuits éparpillés sur le sol. Coût de l’opération: 11.000 euros, puisqu’il s’agissait d’une installation de Paul Branca…

Les détritus, loin d’être originaux, sont donc un lieu commun de l’art contemporain. Baudelaire en avait déjà fait le constat désolé : on présente au public « des ordures soigneusement choisies ». Cet art soi-disant en rupture se complaît dans une imitation du réel qui aurait comblé les vœux les plus chers des bourgeois XIXe épris de naturalisme. Il n’y a pas si loin du portrait pompier devant lequel le public s’exclame « On dirait qu’il va parler ! » aux déchets qui font se dire : « Tu penseras à sortir les ordures ? » C’est le réalisme poussé au trompe-l'œil, un genre qui a son charme quand il s’annonce comme tel (le musée Marmottan-Monet lui consacre sa toute prochaine exposition) mais qui vire à l’arnaque quand il se pare d'un cataplasme conceptuel.

BV a joint le maître pour recueillir son analyse de cet événement muséal survenu à ses canettes. Sans résultats, malheureusement. Reste l’opinion de la directrice du LAM, Sietske van Zanten. Que les canettes aient été jetées « est un témoignage de l'efficacité de l'art d'Alexandre Lavet ». Le compliment serait beau s’il n’était ambigu.

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Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

27 commentaires

  1. Chaque semaine, en sortant alternativement mes deux poubelles, j’ai conscience que je viens de mettre sur la voie publique deux œuvres d’art…et je repense au livre de James Joyce « portrait de l’artiste en jeune homme », bien que n’étant plus très jeune, mais n’ayant jamais pensé qu’après une vie bien active je finirais en artiste… contemporain….pardon « Comptant pour rien »….comme le sont tous ces imposteurs et amoureux de la laideur sponsorisés par nos mairies et collectivités, imposant au « cochon de payant », que nous sommes, leur mauvais gout, pour qu’il puisse s’extasier, grâce a une utilisation abusive de son argent, l’impôt, devant cet étalage de laideur et d’absurdité. Cela va de soi ! Vous parlez d’économies !!!????

  2. Souvenirs :-) 1969, Mons, Belgique… Ma future épouse, jeune étudiante à L’Académie de dessin, participe à une exposition collective. Les différentes oeuvres sont exposées dans une enfilade de pièces… On fond d’une de celles-ci je découvre une porte constituée de lamelles de plastique (comme on peut voir dans les bâtiments industriels) ! Je franchis la porte, devant moi un grand paillasson vert. Je m’essuie consciencieusement les pieds avant que deux grands costauds (des gardiens) ne me sautent dessus ! La porte et le paillasson étaient une oeuvre d’art ! Je n’avais pas vu les cônes de chantier qui l’entouraient. Un des professeurs de l’Académie a dû intervenir pour les convaincre que je n’étais pas un « agitateur » pour empêcher mon expulsion manu militari. Cet artiste, ce génie aujourd’hui reconnu, vendra plus tard des oeuvres du même genre à la ville de Charleroi. (notamment). Quoi qu’on dise, la connerie a bien un prix, !

  3. Je me souviens d’un vernissage d’artises contemporains où nous étions invités. Mon fils avait une quainzaine d’années.
    Nous étions invités à 18h et il devait être 17h 55.
    Nous arrivons dans la première sale où nous voyons des cartons empilés et certains éparpillés autour. Mon fils nous dit alors = « oh, comme d’habitude, nous sommes arrivés en avance, ils n’ont pas fini de déballer les œuvres et d’enlever les cartons. » Sa sœur (12 ans) lui répond = « regarde la pancarte! C’est une oeuvre, Il y a écrit son nom ». Je ne me rappelle plus le nom de ladite oeuvre, mais c’était bien une oeuvre qui était encore là, devant les airs extasiés (!) de nombreux visiteurs, deux heures après.

    Les horreurs artistiques ne sont pas nouvelles, c’était il y a environ 30 ans.

  4. Si les ordures deviennent des oeuvres d’art, nous devrions tous être rémunérés pour sortir nos poubelles.

  5. « Il tente de questionner la notion même d’œuvre d’art » : voilà peut-être une chance pour que la création artistique renaisse. Quand on ne sait plus ce qu’est l’art, on est au fond de l’impasse. Seule la sortie pour prendre une autre voie est possible.
    Cette autre voie va surement être trouvée. Les autres arts (que les arts plastiques) ont trouvé naturellement leurs évolutions : la musique est devenue jazz, rock’n’roll, embarquant aussi la danse ; la poésie : chansons, textes, enrichie de musique ; le théâtre : cinéma, enrichi de musique et de paysages ; la littérature a créé une branche passionnante : la bande dessinée (si, si) ; il ne reste que les arts plastiques disparus. J’attends avec impatience leurs nouveaux visages.

  6. 70 ans après je me rend compte que mon prof de dessin (à la communale) pourtant prix de Rome n’y comprenait rien, j’avais toujours de notes lamentables parce qu’il ne comprenait pas mon art, mais en fait c’était des chefs d’œuvres, quoi une espèce de monsieur Jourdain de la peinture.

  7. Heureusement que le ridicule ne tue pas parce qu’il y aurait hécatombe dans le milieu « de l’art » contemporain.

  8. Et dire que chaque semaine, sans le savoir, c’est de l’art que je confie au camion de ramassage. Et le pire, c’est que je paie pour faire enlever mes oeuvres au lieu d’en tirer les substantiels revenus que d’autres, à l’évidence, savent obtenir des leurs.

  9. Si je comprend bien je fais crée des oeuvres tous les jours dans le savoir. Ce monde a besoin de psychiatres.

      • Je confirme pour Miro, dont j’ai eu à supporter plusieurs expos là ou je travaillais, j’étais incapable de m’extasier !

  10. Et que dire de ces passionatas de l’art contemporain qui demandent le nom de l’artiste créateur de l’extincteur accroché au mur ?

  11. Je vous invite à découvrir un artiste, qui mériterait d’être connu, à découvrir Jean-Louis Trevisse. Il est mort en 1998 à l’âge de 49 ans. Son frère lui a rendu hommage en écrivant un livre sur sa vie, sa création.

  12. L’art moderne a ceci de très malin ; Si vous vous montrez dubitatif, voire moqueur devant certaines « œuvres », vous passez pour un gros plouc inculte… donc, il faut faire semblant d’admirer le talent de l’artiste, même si l’escroquerie intellectuelle est visible. Et vu le prix affiché des « œuvres » ; On n’est pas loin du braquage. Chapeaux l’artiste ! Sans armes et sans violence, même si ça pique souvent les yeux.

  13. Ils mirent trois jours avant de s’apercevoir que le mannequin pendu qu’ils pensaient être une œuvre d’art était en réalité un suicide….

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