Mohammed ben Salmane, le jeune prince pressé qui veut sauver l’Arabie saoudite

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Longtemps, le royaume saoudien fut un colosse aux pieds d’argile, géant énergétique mais nain politique. Sa diplomatie ? Inexistante. Il est vrai que depuis le fameux pacte du Quincy, signé sur le navire américain éponyme, le 14 février 1945, entre le président Franklin Roosevelt et le roi Ibn Saoud, sa politique étrangère s’est longtemps limitée à approvisionner les USA en pétrole, tandis que ces derniers assuraient sa sécurité.

De l’or noir a depuis coulé sous les ponts. Il n’est pas inépuisable et le parapluie américain n’est plus tout à fait ce qu’il fut. Les générations dirigeantes, elles aussi, ont changé.

D’où ce livre passionnant, signé des journalistes du Figaro et de France Inter, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, spécialistes de cet Orient complexe par nature, consacré à Mohammed ben Salmane, prince régnant en attendant que son père, malade, ne lui laisse les pleins pouvoirs. Plus connu sous l’acronyme de « MBS », ce jeune homme ambitieux a donc de grandes ambitions pour son pays.

L’équation politique et religieuse

Et ce qu’il faut tout d’abord comprendre, au royaume saoudien, est leur leadership musulman. D’un point de vue historique, ils sont les gardiens des lieux saints islamiques. De l’autre, religieux, ils ont longtemps été les principaux vecteurs du wahhabisme dans le monde. De quoi s’agit-il ? D’un islam façon retour aux sources qui n’est pas sans rappeler un certain protestantisme américain à la sauce évangélique : même puritanisme, même vision fantasmée d’une pureté originelle, même prosélytisme et même adoration de l’argent.

Seulement, voilà, et ce, toujours à propos d’argent et d’image de marque : le wahhabisme finit par coûter plus qu’il ne rapporte ; surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001. Là, à la désolation conjointe de Riyad et de Washington, l’évidence s’imposait : la majeure partie des terroristes étaient de nationalité saoudienne. Pire : la promotion de cet islam rigoriste n’a pas mis le royaume à l’abri de ces terroristes le tenant pour corrompu, puisque ayant prêté allégeance aux USA.

Entre tradition et modernité

C’est de cette situation délicate qu’hérite aujourd’hui notre prince. Comment tordre le cou au passé sans insulter l’avenir ? Comment s’ouvrir aux technologies de l’Occident tout en évitant d’en adopter les formes les plus voyantes de sa décadence ? Bref, Mohammed ben Salmane, à en croire nos auteurs, est condamné à louvoyer. Car, plus important que le pacte du Quincy, il y a celui de 1744 : « Ce pacte politico-religieux conclu entre un chef de guerre, Mohammed Ibn Saoud, [l’ancêtre de la dynastie régnante, NDLR] et un prédicateur religieux, Mohammed Abdal-Wahhab. Cette alliance du Coran et de l’épée constitua l’immuable socle de la gouvernance en Arabie saoudite pendant des siècles. »

Alors, MBS doit trancher tout en demeurant dans une certaine forme de continuité : « Nous n’allons pas passer les vingt-cinq prochaines années à nous demander si la musique est halal ou pas. Il faut retourner à un islam traditionnel. » Soit celui, anté-wahhabite, où la musique faisait partie du quotidien.

À en croire les auteurs du livre, ces réformes seraient bien accueillies par les populations urbaines mais laisseraient pour le moins sceptiques celles des campagnes. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle de son puissant voisin iranien ; là où le voile contesté dans l’Iran des villes est toujours tenu pour fierté dans celui des champs. À propos de ce rival chiite, MBS a tôt compris qu’il faudrait bien apaiser les relations avec Téhéran. Ce qui fut fait, le 10 mars 2023, mais sous égide chinoise et non point américaine, donnant ainsi une assez bonne idée des nouveaux rapports de force dans la région. Tout comme il a compris aussi qu’il lui faudrait officialiser les relations discrètes entretenues avec Israël depuis des décennies. Ce qui fut également esquissé, en septembre 2023, par l’entremise du président Donald Trump.

Un personnage pour le moins complexe

Voilà pour le côté cartésien et occidental du prince. Pour le reste, il demeure un Oriental un brin sanguin. La preuve en est l’assassinat, aussi sordide que rocambolesque, de l’un de ses opposants, Jamal Kashoggi, au consulat saoudien d’Istanbul, le 2 octobre 2018, dans lequel le rapporteur spécial des Nations unies voyait en 2019 un très probable « crime d'État ». Sans oublier le rapt de tous ses concurrents potentiels de la famille royale ayant fait fortune de manière plus ou moins licite, au Ritz-Carlton de Riyad, le 4 novembre 2017. Certains seront finalement relâchés après s’être acquittés d’amendes se chiffrant en milliards de dollars. Une sorte d’opération mains propres à la mode bédouine… Puis, l’opération militaire erratique menée au Yémen, en un conflit n’en finissant plus de s’enliser.

Bref, Mohammed ben Salmane est un jeune homme pressé, conscient du retard qu’il doit faire rattraper à son pays. Un état d’esprit que les auteurs résument ainsi : « Aujourd’hui décomplexés, les Saoudiens en ont assez qu’on leur donne des leçons de morale matin et soir. N’en déplaise aux Occidentaux, l’objectif de MBS n’est pas de transformer son royaume en une démocratie libérale. Pour réussir sa révolution, il est convaincu qu’il doit tenir les rênes du pouvoir d’une main ferme, sans faiblesse ni hésitation, quitte à passer pour un autocrate. » Tout cela est à méditer.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

10 commentaires

  1.  » Un islam façon retour aux sources qui n’est pas sans rappeler un certain protestantisme américain à la sauce évangélique : même puritanisme, même vision fantasmée d’une pureté originelle, même prosélytisme et même adoration de l’argent. » Sans oublier que ces « valeurs » sont en train d’être imposées de force à tout l’Occident. Il n’y a qu’à regarder la France.

  2. C’est bien l’idée émise par le Général de Gaulle d’un « ORIENT COMPLIQUE » !! qui est illustrée ici : face aux contraintes économiques et aux contradictions idéologiques, MBS tisse sa toile d’un gouvernant pragmatique qui…n’attend qu’avec appétit mais patience la prochaine chûte des ayatollahs…Espérons que le proche avenir va confirmer son attente.

  3. Bon, si j’ai bien compris ce Prince Mohammed ben Salmane est obligé de devenir une sorte de dirigeant autoritaire mais visionnaire pour son pays, qui sache manier le sabre et le goupillon . Et si cela était la condition à une paix durable , je signe des deux mains !

  4. Tout ce qu’on peut espérer, c’est que ce nouveau monarque à la tête d’un pays riche, ouvre ce pays à ses frères souffrant de la pauvreté et de la guerre, je pense particulièrement aux palestiniens. Et ce, d’autant plus, que l’Arabie Saoudite possède une immense « ville » de tentes équipées de sanitaires et de la climatisation et qui ne servent qu’une fois l’an, lors du pèlerinage à La Mecque. Pendant ce temps tant de musulmans sont à la rue dans toutes ces régions où règne la guerre. Un peu d’humanité, voyons !

  5. Une girouette ne peut pas gouverner un pays. Ainsi la France est actuellement ballottée au gré des vents et ricoche de récif en récif. Il nous faudrait une main de fer comme ce prince saoudien, sinon encore un ou deux récifs et la France coule pour de bon.

    • Combien sommes nous à voir ce qui est entrain de nous arriver face à des dirigeants vérolés par des idéaux d’un autre âge sans vision sans réalisme sans poigne et qui se réfugient derrière des lois obsolètes

  6. Quand on voit comment tourne la démocratie en Europe et en Israël, c’est-à-dire à l’ingouvernabilité, on peut se poser des question quant à sa pérennité. Voir Athènes et Rome antiques.

  7. Sur Jamal Kashoggi lire un éditorial de la revue Jeune Afrique .
    Qui explique ses accointances avec les islamistes des frères musulmans.

    • Sur Jamal Kashoggi, vous avez entièrement raison, il travaillait sans doute pour les frères musulmans au New York Time.
      Mais de là à le découper en rondelle… ça ne se fait pas

  8. Pour y avoir vécu de 2016 a 2018 .j’ai vu les changements dans le bon sens .
    Les femmes ont des études payées par le gouvernement a l’étranger Elles allaient aux usa .
    Quand a la sécurité les trafiquants de drogues et les islamistes qui préparent des attentats se voient raccourci d’une tête

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