Moi, la Légion d’honneur, je l’ai et je la garde !
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Pour la Légion d'honneur, je peux témoigner sur l'honneur qu'on peut l'obtenir sans l'avoir demandée, donc sans s'y attendre du tout et en l'apprenant dans le journal, pour moi en 2000, et que par censure présidentielle la promotion comme officier peut vous être refusée, pour moi au début de cette année.
Cependant, je n'aborde ma situation personnelle, en l'occurrence, que pour montrer que je ne suis pas le plus mal placé pour approuver le président de la République qui a décidé "de réduire drastiquement le nombre de décorations et de revenir au critère du seul mérite pour établir les prochaines promotions".
Pour le premier point, ce sera aisé. Emmanuel Macron, d'ailleurs, a déjà commencé à le faire pour la promotion du 14 Juillet.
Cette démarche restrictive sera d'autant plus nécessaire qu'une multitude de Légions d'honneur était octroyée de manière quasiment automatique - ou alors, il fallait vraiment avoir fauté ! - à tous les officiels de la République, par exemple anciens ministres, ex-ambassadeurs et académiciens.
Le second point, incontestable dans son principe de compétence et de mérite, sera extrêmement difficile à instaurer ou à restaurer.
D'abord, il a été infiniment mis à mal par une infinité de prébendes honorifiques qui n'ont pas eu d'autre finalité que de permettre au prince et à ses ministres l'exercice d'une générosité confortable et, la plupart du temps, vide de sens par rapport aux exigences des origines. Artistes, comédiens, célébrités de toutes sortes, journalistes, producteurs français ou étrangers, un immense vivier était ainsi mis à disposition pour l'octroi d'une Légion d'honneur dévoyée, ridiculisée, peopolisée. Harvey Weinstein, sur ce plan également, a servi de révélateur.
Pour justifier les nouvelles règles, on nous indique "qu'on n'a pas la Légion d'honneur à l'usure ou par copinage mais qu'il convient de conditionner son octroi au respect des grands principes". Soit.
Quand je l'obtiens en 2000, je suis magistrat depuis vingt-huit ans et, malgré une envie stupide de faire le dégoûté et l'anarchiste, j'accueille cette distinction avec reconnaissance. Le copinage n'y a été pour rien et l'usure encore moins puisqu'elle m'est offerte comme une miraculeuse surprise. Donc, mon mérite ?
Il est en tout cas sain d'éprouver, quand on vous distingue, ce léger malaise tenant à la conscience qu'on a de ses vertus modestes par rapport au courage des soldats et à l'audace de ces héros du quotidien qui honorent la condition humaine. C'est mieux que de s'abandonner à ce constat trop classique : le contingentement, mais pour les autres !
Je ne peux pas m'empêcher de songer à mon irritation perplexe face au lustre dont certaines personnalités étaient créditées. Tel avocat sans morale était distingué, tel autre en bénéficiait comme honoraire, des magistrats, eux, l'avaient reçue à l'usure et parfois, formidable embellie, un remarquable avocat, Jean-Yves Le Borgne, qui n'en refusait pas l'honneur et le méritait, voyait son souhait exaucé. Depuis, élevé au rang d'officier, il s'est fait remettre les insignes par Nicolas Sarkozy.
J'imagine les débats qui surgiront sur une définition appropriée et acceptable du mérite. Chacun a la sienne, mais il me semble que la plus pertinente s'attachera à l'intuition, l'impression, la certitude qu'il serait scandaleux de ne pas promouvoir celui-ci ou celle-là ou, au contraire, de placer sur un pavois honorifique cet homme ou cette femme.
Je préfère, pour terminer, demeurer sur cette part très infime de citoyens qui est indifférente ou hostile à la Légion d'honneur tout en la méritant plus que beaucoup d'autres. Mon ami Thierry Lévy, que je ne cesse de regretter, aurait considéré cette distinction avec un mépris grave et inflexible. Éric Dupond-Moretti n'en voudra jamais et, pourtant, il n'en serait pas indigne.
Peut-être y a-t-il moins d'orgueil dans son acceptation que dans son dédain ?
En tout cas, prosaïquement, je l'ai et je la garde.
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