Mort d’André Tubeuf, critique musical, écrivain et intime des plus grands interprètes
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Je fais partie des lecteurs tardifs d'André Tubeuf. Il est entré par effraction dans mon petit panthéon, un jour de 2008, avec le Jésus que ma joie demeure de Bach interprété par Dinu Lipatti, morceau qu'il avait choisi pour illustrer, à la radio, son récit du dernier récital de l'artiste. Je crois qu'il n'aurait pas désapprouvé ce titre de passeur, de médiateur, de Dinu Lipatti. Je fus retourné par ces trois minutes de piano d'un artiste que je ne connaissais pas. Je me précipitai aussitôt pour trouver l'enregistrement et tombai sur ce coffret EMI de l'intégrale du pianiste roumain que la maladie emporta à 33 ans, en 1950, après des mois de souffrance et de travail acharné. La notice biographique du coffret était rédigée par ce même André Tubeuf, dont le nom reste désormais associé à celui de Dinu Lipatti. J'enchaînai en lisant le roman qu'il venait de publier, La Quatorzième Valse, et je poursuivis ma découverte conjointe d'un pianiste au destin christique et d'un véritable écrivain. La quatorzième valse, c'est cette dernière valse de Chopin que Dinu Lipatti ne put jouer dans cet ultime récital de Besançon. André Tubeuf avait fait le choix de faire de l'artiste le narrateur de son roman durant les derniers mois de sa vie. Un livre extraordinaire en forme de méditation sur le chemin de croix et de « sainteté » du pianiste roumain.
Il n'y a finalement peut-être pas meilleure entrée dans la pensée musicale d'André Tubeuf que ses textes sur Dinu Lipatti : on y découvre un critique qui vous fait pénétrer au cœur de la sensibilité. Mieux : de la « spiritualité » (le mot ne lui faisait pas peur) des artistes et des œuvres.
Mais qui était donc cet écrivain capable de vous entraîner ainsi au cœur de la musique et de ses géniaux interprètes ? Un Français né à Smyrne, en 1930, venu après la guerre faire sa khâgne à Louis-le-Grand, puis la rue d'Ulm, l'agrégation de philosophie, philosophie qu'il va ensuite enseigner plus de trente ans à Strasbourg. Toutes expériences qu'il relatera dans des livres autobiographiques où l'on retrouve la même empathie que dans ses textes consacrés à la musique : L'Orient derrière soi et Les Années Louis-le-Grand.
La musique, elle l'investit enfant dans une petite école religieuse tenue par des sœurs, en Turquie : « D'emblée, la musique a été une certitude, une foi, une hospitalité. »
Les années 50 sont pour lui celles de la découverte des plus grands artistes via le disque puis, très rapidement, les rencontres. Comme l'écrit Christian Merlin, dans Le Figaro, « il est devenu l'intime de ses idoles d'hier, d'Elisabeth Schwarzkopf à Dietrich Fischer-Dieskau. Et lorsque les pianistes Claudio Arrau ou Rudolf Serkin jouent à Strasbourg, ils sont reçus dans l'appartement d'André Tubeuf, non pour échanger des mondanités superficielles, mais pour comprendre les ressorts philosophiques d'un art qui nous met en relation directe avec la transcendance. »
André Tubeuf était cet homme à la sensibilité musicale, littéraire et spirituelle unique qui le conduisit vers un parcours singulier, hors des sentiers battus. Par exemple, il ne se déroba pas à son devoir quand il fallut, appelé en Algérie en 1956, sauter en parachute, comme il le racontait à Philippe Labro dans Le Figaro. Il échappa aux modes idéologiques, seulement guidé par la quête du beau, de la musique juste et de ces artistes, compositeurs ou interprètes qui ont « écrit avec leurs tripes ». On découvre aujourd'hui un écrivain à la bibliographie riche. Ses critiques ont été rassemblées dans le recueil L'Offrande musicale. Son Dictionaire amoureux de la musique est aussi très accessible. Tout comme ses livres sur Bach ou Mozart. France Musique va rediffuser ses entretiens avec Lionel Esparza.
Pour rendre hommage à celui qui assista bouleversé, à 20 ans, à cet ultime récital de Besançon où Dinu Lipatti ne put jouer la quatorzième valse mais revint dans un ultime effort interpréter Jésus que ma joie demeure, on ne peut que saluer « cette simplicité, cette loyauté, cette sainteté » qu'il entendait « dans le piano de Lipatti » et que nous lisons aussi dans ses écrits avec la même émotion.
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