Mort de Quincy Jones : sa grande histoire d’amour avec la France

Capture d'écran France 24
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Quincy Jones a tiré sa dernière révérence à l’âge vénérable de 91 ans. Pour les amateurs de jazz, de soul, de funk et de blues, toutes musiques créées par les musiciens afro-américains s’inspirant alors des harmonies européennes, il était plus qu’un géant : une véritable institution. Issu d’un milieu modeste, il cire les chaussures dans les rues de Chicago tout en poursuivant une scolarité sans histoires afin d’arrondir les fins de mois. C’est donc sur le trottoir qu’il fait la connaissance d’un certain Ray Charles, son aîné de trois ans. Ensemble, ils forment un duo qui écume tous les clubs de la ville. L’occasion de rencontrer Clark Terry, l’un des membres de l’orchestre de Count Basie, qui l’aide à se perfectionner à la trompette et au piano, instruments dont il a appris à jouer en autodidacte.

À tout juste 18 ans, Quincy Jones parvient à décrocher une bourse au Berklee College of Music. Le voilà lancé. Rapidement intégré dans la formation de Lionel Hampton, il brille rapidement dans la délicate science des arrangements ; soit l’art de magnifier une mélodie. Il en écrira ainsi d’innombrables pour des vedettes telles que Dinah Washington, Count Basie, Sarah Vaughan et… Ray Charles, il va de soi.

Frank Sinatra, un drôle d’ange gardien…

Seulement voilà, nous sommes dans les années 60 et la ségrégation raciale est encore une réalité. L’un des premiers à s’être insurgés contre ce racisme alors « systémique », alors qu’il ne l’est plus aujourd’hui, n’est autre que Frank Sinatra. Dans ses mémoires, Quincy (Robert Laffont), notre homme se souvient : « Frank était fou de l’orchestre de Count Basie et il nous a emmenés à Las Vegas en 1964. […] À peine quelques années plus tôt, Harry Belafonte, Fats Domino, Sammy Davis et Lena Horne se produisaient déjà dans les casinos, mais mangeaient aux cuisines et dormaient dans des hôtels pour Noirs. Frank, qui ne supportait pas ce genre de conneries, a réuni ses gardes du corps en coulisses et leur a dit : "Si quiconque ne serait-ce que regarde de travers un musicien de cet orchestre, vous lui cassez les deux jambes !" » Antiracisme rudimentaire, certes, mais efficace. Il est vrai que Sinatra, Italo-Américain de confession catholique, avait lui aussi dû subir le racisme latent de la bonne société WASP (White Anglo-Saxon Protestant) depuis sa prime enfance

Il est encore plus vrai que depuis 1957, Quincy Jones vit en France, embauché comme arrangeur par Eddie Barclay, le patron des disques du même nom. Là, le racisme n’est plus pour lui qu’une vue de l’esprit. Et il travaille avec les plus grands (Jacques Brel et Charles Aznavour) sans que personne ne s’en étonne. Mieux : il se perfectionne grâce aux cours particuliers de Nadia Boulanger, l’amie de Maurice Ravel, Francis Poulenc et Darius Milhaud, avant d’en devenir l’un des protégés.

Une Légion d'honneur bien méritée

Bref, entre lui et la France, c’est une romance que jamais il n’oubliera : « J’éprouve une reconnaissance éternelle envers la France, où le fardeau de la race ne pesait plus sur mes épaules. […] En France, j’ai pu enfin embrasser mon passé, mon présent et mon avenir en tant qu’artiste et homme de couleur. […] La France m’a traité en artiste. Des années plus tard, en 1991, j’y ai été intronisé dans l’ordre de la Légion d’honneur*, créé en 1802 par Napoléon. Grâce à la France, je me suis enfin senti libre et heureux d’être moi-même. »

Eddie Barclay ne fut pas pour rien dans cette révélation, l’invitant dans les meilleurs restaurants – ceux-là mêmes où il n’avait le droit d’entrer aux USA –, lui présentant les plus belles femmes de Paris, le conviant dans les fêtes les plus huppées où il charme, entre autres, Brigitte Bardot, Simone Signoret, Grace Kelly ou Édith Piaf.

Traité en seigneur, c’est donc très logiquement qu’il se comporte comme tel, quand reparti en Amérique. Là, il reprend son métier d’arrangeur pour les plus grands : Barbra Streisand et Tony Bennett, Frank Sinatra et Nana Mouskouri. Parallèlement, il devient un compositeur de plus en plus demandé par Hollywood. Parmi ses chefs-d’œuvre ? Dans la chaleur de la nuit (1967), de Norman Jewison, film antiraciste très malin et pas manichéen pour deux sous. Puis Guet-apens (1972), de Sam Peckinpah, où l’harmonica de Toots Thielemans fait des merveilles, et enfin La Couleur pourpre (1985), de Steven Spielberg, qui vaudra à Quincy Jones deux citations aux Oscars™.

L’homme derrière Michael Jackson

Son autre heure de gloire, c’est évidemment la production de trois albums de Michael Jackson, qui feront de ce musicien l’icône mondiale qu’on sait : Off the Wall (1979), Thriller (1982) et Bad (1987). Mais Michael Jackson entend vite voler de ses propres ailes et se passer de son mentor. Ses disques suivants s’en ressentent et lui ne s’en relèvera pas. Quincy Jones n’en conçoit pas la moindre amertume, préférant poursuivre son chemin en alignant des albums personnels de plus en plus majestueux : seigneur un jour, seigneur toujours.

Aujourd’hui, que les mélomanes français aient une pensée émue pour celui qui aima tant notre vieille nation, historique terre d’accueil de tous ces musiciens noirs traités en étrangers en leur propre pays, pourtant donné pour être celui de la liberté. Car à l’instar de tout homme de bien, Quincy Jones avait deux patries. La sienne et la France.

 

*Jacques Chirac le fit commandeur de la Légion d'honneur en 2001.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

12 commentaires

  1. Merci pour ce bel hommage au grand Quincy Jones dont le talent a traversé les époques comme musicien arrangeur et producteur.
    Merci de rappeler, au passage, que la France a été de tout temps un havre pour accueillir les artistes victimes de ségrégation raciale dans leurs pays .
    Les gens plus jeunes ne connaissent souvent de Quincy Jones que sa collaboration avec Michael Jackson et vous rappelez fort à propos son talent d’arrangeurs pour des musiciens de jazz les plus variés .
    Il a marqué l’histoire de la musique américaine ,et au delà, en France , il a aidé à la naissance d’un jazz français de talent tels les « Double Six  » de Mimi Perrin , tout ce que comptait la France de figures montantes du jazz de l’époque ont profité de la bonne influence de ce génie sur le sol français comme le grand Michel Legrand et sa muse de l’époque ,Nana Mouskouri qui avant d’être une chanteuse de variété a été aussi une excellente chanteuse de jazz à la française;
    Il a fait sonné les cuivres de l’orchestre de Count basie comme jamais en compagnie d’un Franck Sinatra galvanisé par cette collaboration de choix dans le disque en public de Franck Sinatra at the Sands . L’un des meilleurs de Sinatra .
    Pour moi il est une de ces personnes qui m’a fait aimer le jazz alors que j’étais tombé dans la pop musique depusi tout petit , et m’a ouvert d’autres horizons musicaux tels des Phil spector , Burt Bacharch ou encore Antonio Carlos Jobim . Quincy Jone a rejoint les enchanteurs .

  2. Le genie de Quincy Jones fut d etre un grand musicien et compositeur et un genial manager en meme temps , ce qui est finalement tres rare .ajoutons que les musiciens et compositeurs noirs americains sont a l origine des meilleurs moments musicaux de notre epoque , et je pense par exemple a Maurice White , venu du jazz classique , et réel  » inventeur  » du rock funky .

  3. Je voulais vous remercier pour ce bel hommage à Quincy Jones formidable musicien et compositeur. Les médias français « main stream » ont été bien avares de reportages et d’hommages. J’ai découvert le rôle majeur d’Eddie Barclay dans le succès de l’artiste en France. Il y avait en France de ces personnages étonnants capables de découvrir et d’encourager les talents d’où qu’ils viennent, des gens comme Eddie Vartan, des musiciens et compositeurs formidables comme Claude Bolling. Ce monde paraît déjà lointain,
    le monde d’avant peut-être qui nous a fait rêver mais qui continue de nous enchanter.

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