Les mots ont-ils un sexe ?
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Vous avez deux heures pour répondre à la question. En tout cas, délicieuse France où l’on peut s’écharper à l’envi (sans e, s’il vous plaît) sur le sexe des mots comme on le faisait à Constantinople sur celui des anges, alors que les barbares étaient aux portes de l’empire.
L’Académie française et le ministre de l’Éducation nationale ont dit tout le bien qu’ils pensaient de cette absurde écriture inclusive qui veut nous faire mettre des points médians, des "e" et des "es" tous les trois mots, histoire, peut-être, de mieux apprendre à bégayer à nos enfants et de donner du boulot aux orthophonistes. Eh bien, une contre-attaque vient d’être lancée.
Bon, on se calme, il ne s’agit pas d’une armée mais seulement de 314 professeurs, une sorte de tête d’avant-garde, à moins que cela ne soit une queue d’arrière-garde désespérée qu’Emmanuel Macron ne veuille plus faire commémoraison de Mai 68.
314 professeurs: ce n’est pas l’Armée rouge non plus. Cette Armée rouge à laquelle l’Éducation nationale a souvent été comparée pour ses effectifs et son efficacité redoutable.
314 professeurs, donc, ont en effet relancé la polémique en signant, le 7 novembre, une tribune offensive publiée sur Slate. "Nous enseignantes et enseignants du primaire, du secondaire, du supérieur et du français langue étrangère, déclarons avoir cessé ou nous apprêter à cesser d’enseigner la règle de grammaire résumée par la formule “Le masculin l’emporte sur le féminin”."
Pour bien marquer le coup que c’en est fini du mâle dominant dans la grammaire française, on notera que les "enseignantes" passent avant les "enseignants". Mais c’est peut-être de la courtoisie vieille France.
Du reste, ces 314 en appellent aux usages anciens de notre langue française pour que l’écriture inclusive devienne la norme car, selon eux, cette règle du "masculin qui l’emporte" est "récente" dans l’histoire de la langue française. Elle ne se serait imposée qu’au XVIIIe siècle. Je ne suis pas un spécialiste de linguistique et peut-être ont-ils raison. Et c’est vrai que, dans sa pièce Athalie, Racine écrivit ce vers : "Consacrer trois jours et trois nuits entières." Mais c’était certainement pour le faire rimer avec le précédent : "Surtout, j’ai cru devoir aux larmes, aux prières." Parce que la langue est faite aussi – et d’abord, peut-être, non ? - pour être parlée, entendue, comprise, accessoirement… Parce que la langue est faite pour être belle, chose qui semble échapper aux Trissotin 2.0. Au passage, vous essaierez de parler, ou de chanter, en mode inclusif…
Nos 314 balaient donc d’un revers de main le caractère évolutif d’une langue, j’allais dire traditionnel, c’est-à-dire qui se transmet au fil du temps. En exhumant un prétendu usage ancien, ils font tout simplement de l’archéologie. On peut, d’ailleurs, revenir à l’écriture, avec une plume d’oie, au clair de la lune. Ces 314 sont comparables à ces liturgistes de pacotille qui, dans le sillage du concile Vatican II, invoquèrent les supposés usages des premiers temps chrétiens pour, par exemple, dire la messe face au peuple. La langue, comme la liturgie, ne se prête pas à la révolution mais à l’évolution : lente et sage.
Mais ce qui paraît le plus incongru dans cette tribune, c’est son caractère « coup de force ». Qui sont-ils pour décider unilatéralement qu’ils n’enseigneront plus ce qui est la règle, tout du moins jusqu’à nouvel ordre ? La première des grammaires qui doit être enseignée à nos enfants, c’est celle du respect de l’autorité, fondée sur des règles communes et raisonnables. Ainsi, tel professeur va continuer d’enseigner selon l’usage traditionnel, alors que d’autres – qu’on espère une minorité -, assis sur leurs certitudes idéologiques – car il ne s’agit que de cela, en fait -, imposeront la "règle des 314". Et d’une école l’autre, on ballottera nos enfants.
Ils nous ont fabriqué des générations d’illettrés ; ils nous fabriqueront bien des générations d’« a·lettré·es ».
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