Moyen-Orient : le retour des réalités nationales
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Le printemps arabe a été une supercherie orchestrée par des puissances convergentes. L’idée principale reposait sur la transposition, dans le monde arabe, des révolutions européennes qui avaient brisé l’Empire soviétique, cette fois pour remplacer les dictatures « laïques », souvent liées à l’armée, qui régnaient dans cette région du monde, héritières d’un nationalisme arabe réduit à chacun des États.
Au premier rang de ce mouvement figuraient les Frères musulmans, au pouvoir en Turquie avec l’AKP d’Erdoğan. La Turquie et le Qatar ont donc soutenu les révoltes dénuées de spontanéité qui se sont répandues de la Tunisie à la Syrie. Les ONG mondialistes qui ont financé les « révolutions de couleur » ont également encouragé le printemps arabe : celui-ci devait emporter des régimes conservateurs, faire tomber des frontières. L’alliance entre l’islam rigoriste modernisé des Frères et l’individualisme sans frontières et déconstructeur est paradoxale. Elle réunit des ennemis sur les fondamentaux, mais qui ont le même adversaire. Celui-ci, le conservatisme national, est incarné par la Russie.
Pour compliquer encore cette alliance, on doit y ajouter les néo-conservateurs américains qui semblent subir un blocage mental à propos de la Russie, qu’ils considèrent toujours comme l’ennemi principal, comme si la guerre froide n’était pas terminée. Leur but est de faire triompher partout la démocratie à l’américaine. On voit à quel chaos cette entreprise a mené en Irak. On sait à quel point la démocratie peut revêtir des formes différentes, y compris en Europe.
C’est avec de telles idées que l’idole médiatique Obama avait conduit, après avoir encensé l’islam au Caire en 2009, à la catastrophe du printemps arabe et à l’État islamique. L’effondrement des tours du World Trade Center n’avait pas modifié la convergence en profondeur puisque les États-Unis avaient utilisé ce prétexte pour s’en prendre à l’Irak, qui n’y était pour rien, mais sera le premier domino du nationalisme arabe à tomber, avant même le printemps arabe, par une invasion, et non sous l’apparence d’une révolte. Ce pays fut la boîte de Pandore qui aurait pu révéler la complexité des forces en présence et dissiper l’illusion du printemps arabe avant même sa naissance. Il n’en a rien été.
Le printemps arabe, apparu comme un grand mouvement idéologique, correspondit en fait au retour des réalités nationales qui sont le véritable terrain de la géopolitique. Or, le trait dominant des États régionaux est que leur fragilité interne semble alimenter leur dynamique externe. L’Iran, de plus en plus isolé, frappé par des sanctions qui ruinent son économie, s’est lancé dans une expansion chiite qu’il mène du Yémen au Liban en passant par la Syrie, où il appuie le cousin alaouïte Assad. Ennemi n° 1 des USA, il combat avec les Russes en Syrie et contre les Saoudiens au Yémen, mais entretient pourtant de bonnes relations avec la Turquie et le Qatar. Sa population, l’une des plus nombreuses et des mieux instruites de la région, supportera-t-elle longtemps le poids de cette ambition au détriment du développement intérieur ?
Son ennemi le plus direct est l’Arabie saoudite, elle-même bien fragile malgré sa richesse, en raison de son sous-développement et des risques qu’un développement trop rapide ferait courir à une société composite et archaïque. Se vouloir à la fois le centre de diffusion de l’islam le plus rigoriste et le grand allié des Américains oblige à des contorsions : par exemple, ne plus guère soutenir les Palestiniens contre Israël en abandonnant ce rôle aux deux ennemis, les Frères musulmans et l’Iran. C’est de cette contradiction qu’est né Al-Qaïda avec le Saoudien Ben Laden.
La Turquie, en proie à des difficultés économiques et à la peur pathologique des minorités ethniques, a un gouvernement que des élections municipales ont récemment affaibli. Ce revers le conduit a flatter le nationalisme turc cette fois associé au prosélytisme sunnite, contrairement au kémalisme laïc, et à mener une action impérialiste. Son allié est le Qatar, mis en quarantaine par les Saoudiens et les Émiratis, nain politique mais géant économique qui complète d’autant plus la Turquie qu’il abrite le centre des Frères musulmans et leur relais médiatique, Al-Jazeera. Youssouf Al-Qardaoui, leur théologien de référence, basé à Doha, considère Erdoğan comme le prochain calife de l’islam. Voilà qui entretient le rêve d’un nouvel Empire ottoman appuyé sur le djihad des Frères. (À suivre.)
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