Muriel Pénicaud et la littérature noire : ce n’est pas du racisme, juste de l’ignorance !
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Je ne reprocherai jamais à un ministre du Travail d’avoir des lacunes en littérature, quand bien même ce ministre affiche une maîtrise en sciences de l’Éducation. Je lui demande d’être compétent dans son présumé domaine de compétence, c’est tout.
Je n’en veux donc pas à Mme Pénicaud d’ignorer la longue liste des écrivains noirs de peau, puisqu’il faut aujourd’hui distinguer la couleur de la main qui tient le stylo ou frappe sur le clavier. Non, je ne lui en veux pas de cela. En revanche, je lui reproche – comme à tous ses semblables en politique, ou presque – de tweeter sans réfléchir, juste histoire de ne pas paraître en retard sur une actualité qui nous bombarde en permanence à la vitesse de la lumière.
Le 6 août est décédée Mme Toni Morrison, romancière américaine (mais aussi essayiste, critique littéraire, dramaturge, librettiste, professeur de littérature et éditrice) qui reçut le prix Pulitzer en 1988 et le prix Nobel de littérature en 1993 pour « ses romans caractérisés par une force visionnaire et une portée poétique, qui donne vie à un aspect essentiel de la réalité américaine ». On ne la trahira donc pas en disant que Mme Morrison, née aux États-Unis, dans l’Ohio, était plus américaine qu’afro.
Cette remarque ne vise évidemment pas à retirer à cette femme la part de son histoire familiale qui revient de très loin à l’Afrique mais bien de souligner l’ineptie du message de Mme Pénicaud. Craignant donc, comme dit plus haut, de rater le coche, notre ministre du Travail a tweeté cet « hommage » qui en dit long sur son ignorance ou son absence de réflexion, si ce n’est les deux à la fois : « Hommage à une très grande dame, écrivaine, poète et militante, Toni Morrison. Grâce à elle, les Noirs ont enfin pu entrer par la grande porte dans la littérature. Les mots réveillent les consciences et les cœurs, ils font reculer le racisme et la haine. Les mots ont un pouvoir. »
Consternant. Je le redis, on peut ne rien connaître de la littérature, mais alors on s’abstient de faire des commentaires.
On s’en doute, les remarques ont vite fusé, les internautes fournissant au ministre une liste d’auteurs afro-américains célèbres à travers le monde : « James Baldwin, Chester Himes, Richard Wright, Ralph Ellison, Gwendolyn Brooks, Maya Angelou... Il y a longtemps que les auteurs afro-américains ont franchi “la grande porte” de la littérature », écrit l’un d’eux.
Honteuse sans doute, notre ministre a retiré son tweet. Trop tard. Le mal était fait. Alors, le temps de sa contrition, on lui suggère un peu de lecture. L’été sert aussi à cela. Qu’elle se plonge donc dans la littérature africaine et francophone ; celle-ci recèle des merveilles.
Au-delà des Césaire et autres Senghor qui doivent en tomber de leur nuage, on rappellera ainsi à Mme Pénicaud que le Malien Amadou Hampâté Bâ et son disciple Alfa Ibrahima Sow furent couronnés en 1975 par l'Académie française, qui leur décerna la médaille d'argent du Prix de la langue française en reconnaissance des « services rendus au dehors à la langue française ». Si ça n’est pas entrer dans l’Histoire, alors, que lui faut-il ? Ce Peul, né à Bandiagara, en pays dogon, que Théodore Monod avait pris en affection, fut l’un des grands collecteurs des traditions orales d’Afrique de l’Ouest. Il nous a laissé, avec Amkoullel, l’enfant peul et Oui mon commandant ! des mémoires qui racontent mieux l’Afrique que n’importe quel documentaire.
Faut-il rappeler aussi à Mme Pénicaud les plus de vingt romans et essais du Camerounais Mongo Beti, ou les livres-choc (j’assume le mot) de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma ? Si son ministère lui laisse un peu de temps, qu’elle lise toutes affaires cessantes En attendant le vote des bêtes sauvages et Allah n’est pas obligé. Elle en saura plus sur les dictatures africaines que ne pourraient en apprendre tous les cours aseptisés de sciences politiques.
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