Nausée démocratique : trop de réformes ?

On a bien compris : il faut réformer la France. Pour la faire passer de l'ancien au nouveau monde, il y a beaucoup de pain sur la planche, d'annonces en réserve et de débats à venir. Le rythme doit être soutenu et il est hors de question de cesser ce mouvement qui paraît presque se suffire à lui-même au risque de susciter une nausée démocratique.

On devine bien que le rêve de ce pouvoir serait d'être admiré pour son énergie réformatrice et, en même temps, de n'être pas gêné par des grèves. C'est ce que Jean-Michel Blanquer, par exemple, a laissé entendre aux enseignants en les prévenant de l'inutilité de ces dernières et en leur conseillant le dialogue.

Je me demande tout de même si, pour marquer une nette différence avec les quinquennats précédents, le Président et le Premier ministre ne se font pas une gloire un peu trop facile de leur incessante activité.

L'immobilisme de Jacques Chirac, déguisé en sagesse tutélaire, n'a pas fait bouger la France.

Puis nous avons eu l'agitation de Nicolas Sarkozy, qui donnait plus l'impression du mouvement que la certitude de l'efficacité.

Quant à François Hollande, il a passé son temps à commenter une politique qu'il analysait à la perfection mais qu'il n'accomplissait pas.

On devine bien comme, avec de tels exemples, le pouvoir actuel, en menant ses réformes à un train d'enfer et en prévoyant un programme très chargé jusqu'au mois de mai (sexisme, justice, apprentissage et chômage), a créé un effet de saisissement, d'admiration d'abord, puis de légère inquiétude comme si, après le tour de force qu'elle représentait, on en venait à discuter le principe même d'une telle précipitation.

La pertinence intrinsèque de chaque projet risque d'être occultée par le poids d'une surabondance qui semble être devenue un objectif à elle seule.

J'ajoute que le tout n'est pas de multiplier les réformes mais, d'abord, de laisser respirer la société entre elles et, surtout, de ne pas sacrifier leur substance et leur qualité pour manifester à quel point on sait aller vite.

Il est clair qu'on aurait pu aisément se passer du tribunal criminel et de certaines dispositions sur l'exécution des peines. Peut-être que l'obligation, pour chaque ministre, de démontrer son aptitude au changement et sa capacité de réforme obère la réflexion nécessaire et parfois le suspens souhaitable au bénéfice d'une course poursuite. La réforme n'arrive plus en fin de compte comme une évidence technique, sociale et politique, mais est agitée comme un chiffon rouge, présentée tel un but impérieux pour mobiliser à tout prix les énergies.

J'espère que ce gouvernement, qui ne saurait être blâmé pour son envie de faire, n'oubliera pas qu'il y a un juste milieu entre l'atonie d'hier et la bougeotte ostentatoire d'aujourd'hui.

J'en doute car je le vois, je le sens si satisfait de lui-même que la moindre incitation à un ralentissement bénéfique lui apparaîtrait comme la trahison d'une promesse présidentielle.

Les citoyens ont compris qu'on avait changé de rythme. Il serait dommage qu'ils ne puissent pas le suivre ni l'accompagner.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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