Netflix à Paris, cheval de Troie ?

cheval de troie

Anodine, la présence d’un ministre et du maire de la capitale à l’inauguration des locaux parisien de Netflix ? Que nenni ! La grande firme mondiale est un distributeur majeur de « culture », et il convient de bien garder en mémoire deux affirmations. D’abord, dans le monde des affaires, à la fin, c’est le distributeur qui gagne. Ensuite, l’hégémonie culturelle est la mère de toutes les batailles. Choyer un distributeur relèverait donc possiblement, pour une personnalité politique, plus du calcul que de la recherche du bien commun.

La vidéo à la demande est une des mutations qui affectent la télévision. Le téléphage choisit l’œuvre ou le programme qu’il souhaite regarder, au moment qui lui convient, parce qu’il paie un abonnement (dérisoire ?) à un grand supermarché virtuel où il trouvera une offre pléthorique. Plus question de regarder le film unique d’une chaîne unique après les informations uniques préparées par un service public sous contrôle. L’offre de contenu foisonne désormais, mais éludons son coût écologique.

Sauf que du contenu, il en faut toujours plus, et du neuf ! C’est vrai, si le bouillant Achille aux pieds d’airain et à la blonde chevelure revu et corrigé par Netflix n’est pas interprété par une personne dont la carnation est objectivement très sombre, un lecteur en sensibilité pourrait s’en offusquer. Là, c’est plus 100 points au test « Inclusivité raciale ». Pour le reste de l'Iliade, pas sûr que l’histoire de Briséis surmonterait le test « Inclusivité féministe », alors c’est -75 points sur l’échelle de #MeToo. Mais comme il se chuchote qu’Achille et Patrocle fricotaient ensemble, l’espoir n’est pas perdu, il y a de quoi gagner peut-être 150 points au test « Sexualités alternatives » : le gros lot ! Je suis conscient du risque imminent de devoir réécrire en partie Cyrano de Bergerac, qui pourrait être taxé de « grosnezophobe » (et surtout pas « nezgrosphobe »). Produire pour seulement satisfaire une obligation ?

L’ogre américain qui connaît bien son Gramsci se dit qu’à terme, gommer les appartenances et les nuances culturelles, c’est permettre l’émergence d’un produit culturel standard qui finira bien par façonner un consommateur standard, et permettre de réaliser des économies d’échelle substantielles. Il suffit de parcourir la page Wikipédia présentant la liste des langues par date d’extinction pour constater que les jours des langues amérindiennes qui subsistent encore sont comptés. J’veux voir qu’une tête !

Alors, que penser de la tentation protectionniste qui fonde l’exception culturelle et impose à un Netflix de consacrer une part substantielle de ses recettes locales à la production de contenus s’insérant/s’inspirant d’une culture locale ? Est-ce la réponse d’un pays drogué et dépendant à la régulation tous azimuts, jacobine et centralisée ? Est-ce un combat d’arrière-garde déjà perdu ? Les quotas de diffusion, l’obligation de financer et distribuer une création locale, ça ressemble un peu trop au dirigisme soviétique dont on sait bien qu’il a commis des lendemains qui déchantent et trahi ses promesses. Il n’est pas le seul.

Je n’ai pas la certitude que ces moyens réglementaires utilisés soient les meilleurs pour satisfaire l’objectif louable de préserver du rouleau compresseur du marché une culture, mais je n’ai pas de meilleure idée à proposer. Les produits culturels complexes n’échapperont pas à cette espèce de schizophrénie : être des créations de l’esprit et, en même temps, les produits d’une industrie qui souhaite légitimement les rentabiliser. Mais il y a des raisons d’espérer : l’hébreu se parle de nouveau, les écoles Diwan font revivre le breton et Des hommes et des dieux a été produit, distribué, vu et primé.

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