Notre-Dame de Paris abritait bien la sépulture de Joachim du Bellay

© photo Par Emmanuelc — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=6971853
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Alors qu’on célèbre les 500 ans de Pierre de Ronsard, voilà que son ami et confrère de la Pléiade, Joachim du Bellay, lui vole la vedette ! Et pour cause : il est - il serait, diront les plus prudents - l’un des mystérieux exhumés du chœur de Notre-Dame de Paris.

Le poète mourut le soir du 1er janvier 1560, après un souper festif, d’une apoplexie - on dirait, aujourd’hui, un AVC. Il avait entre 35 et 40 ans. Il fut enterré dans la cathédrale. Il en était l’un des chanoines, mais il était surtout un petit-cousin de Jean du Bellay, puissant homme d’Église et diplomate dont il gérait les affaires. La tombe du poète n’avait jamais été identifiée. Le cercueil en plomb qui a été exhumé dans le chœur en 2022, où s'était effondrée la flèche enflammée, ne porte aucun signe distinctif. Mais l’analyse, par l’institut médico-légal du CHU de Toulouse et le professeur Éric Crubézy, aboutit à un faisceau de résultats concordants.

Un trentenaire en mauvaise santé

Avant d’être inhumé, le corps a été « autopsié [crâne scié] et embaumé », ce qui signale une personne de la noblesse. L’individu est « décédé d'une méningite chronique tuberculeuse au XVIe siècle dans sa quatrième décennie, un âge peu représenté parmi les inhumations de sujets d’importance dans la cathédrale ». La surdité et les céphalées dont souffrait le poète confirmeraient cette maladie, rare à l’époque. À ceux qui douteraient de l’identification, Dominique Garcia, le président de l’INRAP, rétorque : « Rien que son âge et sa pathologie offrent une solidité statistique remarquable. »

Du Bellay, c’est le poète du célèbre « Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage » que tout élève angevin apprenait au moins deux ou trois fois durant sa scolarité, il y a quarante ans. Poème d’exil qui n’a d’égal que les Tristes d’Ovide et qui exprime le suc de la veine nostalgique du recueil dont il est tiré : Les Regrets. Mais Les Regrets, ce n’est pas juste ce poème, ce sont 191 sonnets qui vont de la tristesse à la satire contre la cour pontificale en passant par des sonnets envoyés comme « carte postale » aux amis de notre « gentilhomme angevin » : Ronsard « poète vendômois », Olivier de Magny « de Cahors en Quercy », car en ce temps où les provinces n’étaient pas d’identiques régions d’une France périphérique, on se désignait volontiers par sa petite patrie (de même « Louise Labé lyonnaise », César de Nostredame « gentilhomme provençal », etc.). Et n’oublions pas Les Antiquités de Rome, puissante méditation sur le destin de la ville-empire, vaincue par elle-même et par le temps, et pourtant renaissant de ses ruines comme Rome chrétienne.

Faustine, la brune au teint pâle

Dans sa Défense et illustration de la langue française, le poète avait revendiqué une poésie en français. Mais lui-même, qui n’avait plus rien à prouver en la matière, s’adonna à la poésie latine. Dans sa préface aux Poemata, il indique malicieusement que, si la langue française est son épouse, la langue latine est sa maîtresse. C’est d’ailleurs dans cette langue qu’il chante sa relation avec Faustine, qui se déroula la dernière année de son séjour à Rome. Une brune à la peau pâle, aux yeux étoilés et aux seins sculptés par l’Amour lui-même. L’affaire commença sous d’heureux auspices, mais le mari, laid et vieux, était jaloux et la fit enfermer… d’où désespoir du poète qui n’était pas près d’oublier les longs baisers et les douces morsures de Faustine. C’est encore Ovide et déjà Apollinaire.

Rentré de Rome en 1557, ayant publié l’essentiel de son œuvre en 1558, du Bellay doit faire face à des intrigants qui tâchent de le fâcher avec le puissant cardinal en s’appuyant sur certains sonnets des Regrets : on conserve les lettres du poète où il se défend dignement des accusations. Tel vécut ce grand poète au corps meurtri dont on a retrouvé la tombe et dont les écrits firent « son idole errer parmi le monde » tandis qu’il dormait au chœur de Notre-Dame de Paris.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

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