Notre-Dame : pour Antoine-Marie Préaut, c’est la médaille ou les vitraux !

Un des vitraux menacés, de Viollet-le-Duc. © Michel Hérold / Centre André Chastel (CNRS, Ministère de la Culture, Sorbonne Université), 2021
Un des vitraux menacés, de Viollet-le-Duc. © Michel Hérold / Centre André Chastel (CNRS, Ministère de la Culture, Sorbonne Université), 2021

Noyés dans la distribution de hochets aux copains de la République, apparaissent chaque début d’année, en janvier, les noms de personnes incontestablement méritantes et que ce voisinage, pour certaines, rend inconfortable. Tout le monde n’est pas amateur de hochet : si décoration il doit y avoir, il faut qu’elle ait un sens. C’est pour ce sens même, pour qu’un honneur ne soit pas in fine un déshonneur, qu’Antoine-Marie Préaut, ancien conservateur régional des Monuments historiques – aujourd’hui à l’Inspection générale des affaires culturelles – ayant œuvré à la sauvegarde de Notre-Dame, vient de conditionner sa nomination au grade de chevalier dans l’ordre national du Mérite à la conservation des vitraux.

Pour que l’honneur ne soit pas un déshonneur

La polémique enfle depuis des mois. Caché derrière l’archevêque de Paris, Emmanuel Macron n’en démord pas : il imposera, coûte que coûte et vaille que vaille, sa marque sur Notre-Dame de Paris. Et c’est à craindre, plus sa fin de règne se fait piteuse, plus il va s’accrocher au seul hochet qu’il lui reste : remplacer les vitraux de Viollet-le-Duc, miraculeusement épargnés par l’incendie, par des vitraux contemporains signés Claire Tabouret (artiste française installée à Los Angeles). Et qu’importe l’avis de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture qui a voté contre à l’unanimité, qu’importe également celui des quelque 243.000 signataires de la pétition lancée contre cette initiative, il nous faudrait accepter sans broncher le fait du prince.

Dans ce contexte, le message posté par Antoine-Marie Préaut sur LinkedIn a valeur de prise de position. Après avoir découvert son nom dans la liste des élus de la « Promotion spéciale cathédrale Notre-Dame de Paris 2024 », il tient à préciser que « ce mérite, c’est celui de tous ceux qui ont œuvré à la sauvegarde et à la sécurisation de l’insigne monument, avant que ne soit venue l’heure de sa restauration ». Et de rappeler le dévouement de tous ceux qui « ont accepté de bouleverser leur quotidien et d’associer leurs connaissances tout autant que leurs compétences pour faire en sorte que Notre-Dame ne subisse pas d’autres pertes ou dommages que ceux causés par l’incendie ». Il rappelle les faits : « Pour éviter que les vitraux, miraculeusement épargnés, ne soient détruits par un bois de charpente, le descellement d’une pierre ou la déformation des murs gouttereaux, le choix a été fait de déposer l’ensemble des verrières hautes de la cathédrale, dans l’attente que les conditions de leur réinstallation soient réunies ». Elles le sont assurément aujourd’hui, et rien ne justifie la volonté de les remplacer.

La noblesse, c’est de s’effacer pour laisser passer l’Histoire

Insistant sur le devoir de transmission de ces passeurs d’Histoire que sont les agents du patrimoine, il écrit : « Cet engagement et cette détermination dans la sauvegarde de ce qui fait l’authenticité de l’édifice protégé, c’est l’essence de l’action du service des Monuments historiques sur l’ensemble du territoire national. » Une démarche, hélas, bien éloignée des motivations d’un Emmanuel Macron qui croit, lui, pouvoir imposer sa marque sur un monument millénaire quand il devrait s’effacer.

Alors Antoine-Marie Préaut prévient – et l’on souhaiterait qu’ils soient nombreux à l’imiter : « Parce que je forme le vœu d’un mérite qui ne soit pas celui du désaveu, je recevrai cette décoration avec humilité mais non sans allégresse lorsque l’incertitude qui pèse sur le devenir des vitraux épargnés de Notre-Dame aura été levée. »

La noblesse, c’est de s’effacer pour laisser passer l’Histoire. Ce sera donc, pour cet amoureux du patrimoine, la médaille ou les vitraux. Relevons, également, le courage d'une telle prise de position publique.

Quand on visite Notre-Dame restaurée, cloué par l’émotion devant le travail colossal accompli et la beauté des œuvres, on se sent submergé de gratitude envers ceux qui ont bâti cet édifice, l’ont maintenu au fil des siècles dans toute sa magnificence.

Gonflé d’orgueil, Emmanuel Macron s’est félicité, et on l’a grandement félicité, pour avoir su faire de ce chantier une exception administrative. On rappellera ici que c’est la procédure lancée par un François Mitterrand soucieux d’inaugurer des « grands travaux » pharaoniques pour le bicentenaire de la Révolution, en 1989. Pressé par la mort qui le talonnait, le Président n’avait pas le temps d’attendre, c’est pourquoi il avait inventé « un type d’intervention dégagé de la normalité des procédures ordinaires des travaux de l’État ». Hors budget, voire hors contrôles. Au moins les travaux de restauration de Notre-Dame ont-ils été financés par l’extraordinaire générosité des donateurs du monde entier, et à ceux-là, on doit de respecter les œuvres qui ont survécu au drame.

On ne conteste pas le talent de Claire Tabouret. Si l’Église tient à ses œuvres, qu’elle les mette à Saint-Eustache, si friande d’art contemporain. Pas à Notre-Dame.

Pour finir, un conseil : si vous allez à Notre-Dame, ne manquez pas de visiter le trésor. Admirant les chasubles, vous y mesurerez d’emblée ce que nous étions et… ce que nous sommes devenus.

NDLR : tant qu'une personne nommée au Journal officiel de la République dans une promotion d'un ordre national (Légion d'honneur ou ordre national du Mérite) n'a pas reçu officiellement les insignes de la décoration, selon les règles prévues, elle n'est pas membre de l'ordre ou pas promue au grade supérieur.

Un extrait du texte d'A.-M. Préaut sur Linkedin.

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Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

Vos commentaires

30 commentaires

  1. A-t-on des nouvelles de l’atelier de verrerie de la dame Claire Tabouret situé à Los Angelès après les dramatiques incendies ? Elle s’y est installée pour échapper à l’imposition donc pas de vitraux imposés ! Je suis donateur de la première heure pour Notre Dame, j’ai signé la pétition. On ne touche pas au patrimoine.

  2. A part quelques changements dans la société et des vitraux contemporains dans un édifice historique Macron ne laissera que ruines après son passage faute d’avoir réformé et aménagé le pays quand il en avait besoin . On attend sa réforme sur l’euthanasie en signature finale.

  3. « Dégagé de la normalité » qui ralentit toute entreprise publique. Le fait du Prince a parfois de riches et bienheureuses conséquences: le pari d’E.Macron de rebâtir la Cathédrale dans de courts délais a été tenu. De plus l’effort a porté sur tous ces corps de métiers dont on a craint de constater la disparition. Antimacroniste fondamental,je dis bravo sur c seul point. Qu’il n’aille pas, dans sa suffisance, ruiner cette victoire par un choix erroné .

    • Non, Monsieur. Le pari tenu des 5 ans, revient aux Maitres d’oeuvres, les seuls à connaitre les limites du possible, au travail acharné de ces artisans d’exception, ET au Fonds des généreux donateurs, dont vous êtes monsieur, merci, qui l’ont permis sans restrictions.
      Seule l’impulsion revient à notre monarque. Mais qui ne l’aurait pas donnée ?

  4. Ce qu’un homme fait, un autre peut le défaire. Peu importe les élucubrations de Macron et de l’archevêque de Paris qui sont non seulement remplaçables mais encore mortels les vitraux qu’ils veulent à tous crins remplacer seront remis en place par d’autres qu’eux, plus humbles et respectueux des œuvres séculaires. Le temps efface les hommes de peu de foi.

  5. Bravo et merci pour ce combat. De nouveaux vitraux sont inutiles, coûteux et il est sacrilège de remiser ces vitraux que je suppose ancestraux pour le plaisir de notre Monarque qui nous a imposé déjà les nouvelles chasubles des évêques.

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