Nuit de Pâques : haro sur les fidèles de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, omerta sur les émeutiers de Grigny
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Les « fake news » ne connaissent pas la crise. Et le rendement d'un certain nombre de rédactions ne semble pas du tout affecté par le télétravail : une messe « clandestine » a été célébrée « dans la nuit » de samedi à dimanche en l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, révèle l'AFP.
Un office nocturne et secret, donc. Brrrr… c’était aussi la pleine lune et une chouette a ululé, non ? Sur le cerveau formaté du lecteur confiné, effet Da Vinci Code assuré.
Sauf que la vigile pascale a toujours lieu le soir, et qu’elle n’avait rien de clandestin puisqu’elle était publiquement annoncée sur le site de l’église, avec le lien YouTube permettant aux fidèles de la regarder.
Mais ce n’est pas tout, on apprend encore une information de taille : des voisins les ont dénoncés, et la police aurait constaté - selon, cette fois, un reporter de LCI - la présence de… 20 personnes. 40 d'après un homme qui en était.
C’est-à-dire, au vu des images, le clergé, quelques servants ou choristes et une poignée de fidèles. La police précise, du reste, qu’elle n’a verbalisé que le prêtre*, les autres s’étant évaporés : possible pour quelques individus, compliqué pour une foule.
Qu’à cela ne tienne, l’AFP illustre sa dépêche avec un cliché de l’église - qui peut contenir 4.000 personnes - pleine à craquer… datant d'août 2009. Il est vrai que les voisins délateurs ont précisé à LCI que l’église serait « très traditionaliste, sulfureuse, et même d’extrême droite ». Des précisions d’importance. Tout de suite, ça fait plus de monde. Pensez, la prochaine fois, à préciser sur votre autorisation de sortie votre religion, votre couleur politique, si vous sentez le soufre, l’encens ou le patchouli, c’est important pour juger du degré de l’infraction.
L’occasion était sans doute trop belle de pointer du doigt les catholiques : obscurantistes, irresponsables, criminels - car quel acte est plus criminel, aujourd'hui, que ne pas respecter le confinement ? - qui pensent peut-être, ces abrutis, que leur Dieu va les protéger ! Bien sûr, ceux de Saint-Nicolas-du-Chardonnet sont un peu particuliers, ils sont usuellement qualifiés d'« intégristes », mais le distinguo, pour le quidam moyen regardant la télé, fait figure de querelle byzantine. Même l’AFP, larguée, évoque un « rite conservateur » (sic). On imagine Bellamy à l’orgue, Fillon en chasuble et Marion Maréchal en thuriféraire.
C’est aussi bien pratique - et « on » s'est, du reste, défoulé sur les réseaux sociaux - pour exonérer les « entorses » au confinement constatées dans certaines banlieues. Un point partout, la balle au centre, n’est-ce pas ? C’est omettre de préciser que les policiers n’ont reçu, sur le parvis de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, ni crachat ni menace ni pavé sur le crâne.
Les fidèles, même en petit nombre, n’auraient pas dû être là. À la question « Puis-je me rendre dans mon lieu de culte ? », le site gouvernement.fr qui, à présent, juge de la licité de nos moindres mouvements, est formel : « Oui, mais il ne peut pas accueillir de réunions de fidèles. Seule la célébration d’obsèques peut donner lieu à l’accueil de la famille proche, dans la limite de 20 personnes. »
On peut néanmoins s’interroger sur une sévérité à géométrie variable. Dans les temples de la consommation, les décomptes sont nettement moins serrés : « Au rond-point des Fontenelles au Mans ce vendredi 10 avril », Ouest-France évoque « le parking presque plein de l’hypermarché E. Leclerc. » Le nombre de clients à faire rentrer est laissé à l’appréciation des directeurs de magasin. Le virus serait-il plus virulent dans les églises que dans les hypermarchés ?
On peut aussi se poser quelques questions sur la hiérarchie de l’information dans notre pays : le « forfait » des vingt fidèles de Saint-Nicolas-du-Chardonnet a fait plus de bruit dans les médias que la même nuit, à Grigny, les émeutes de trafiquants de drogue indisposés par le confinement : pompiers et policiers caillassés, matériel incendié, hélicoptère ciblé au tir de mortier. Pour les uns, Le Point, Libération, Le Figaro, etc., pour les autres… Le Républicain de l’Essonne ! Mais sans doute les dealers respectaient-ils les gestes barrière ?
*Selon un prêtre de la paroisse, aucun membre du clergé n'a été verbalisé, le policier a refusé de rentrer dans l'église, seule une main courante a été déposée. (NDLA)
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