Obsèques de Gorbatchev : De la chute de l’URSS à la guerre en Ukraine, l’occasion manquée de l’Europe

eltsine clinton

C’était à Prague, le 29 août dernier. Le chancelier allemand Olaf Scholz, dans un discours intitulé « L’Europe est notre avenir », exprimait son souhait d’un élargissement de l’Union européenne aux pays des Balkans occidentaux, mais aussi à l’Ukraine, à la Moldavie et à la Géorgie. Un élargissement nécessaire, selon lui, pour assurer la stabilité au sein de l’Europe. Sur les questions de sécurité, il réaffirmait le rôle prépondérant de l’OTAN, « garant de notre sécurité », et, face au conflit ukrainien, indiquait que l’Europe et l’Allemagne poursuivraient leur soutien économique et militaire « aussi longtemps qu’il le [faudrait] ».

L’annonce du décès de Mikhaïl Gorbatchev le lendemain de ce discours, qui nous ramenait plusieurs décennies en arrière au moment de la chute du mur et de l’effondrement de l’URSS, nous conduisait à mesurer le gouffre qui séparait l’espoir qui s’était levé à l’époque et la situation de l’Europe aujourd’hui, replongée dans un engrenage de confrontation et de peur d’une escalade nucléaire.

Que s’était-il passé entre 1989 et 2014, un quart de siècle, pour en arriver là ?

À son arrivée au pouvoir en 1985, ce n’était pas seulement à un retour à la détente que Gorbatchev s’était attelé mais à une refondation des relations Est-Ouest aboutissant à faire de l’Europe un vaste espace de coopération et de sécurité, de Lisbonne à Vladivostok. En avril 1987, à Prague, il avait déclaré : « Nous nous opposons résolument à la division du continent en deux blocs militaires opposés l’un à l’autre. » Une nouvelle approche des relations internationales qui devait prendre la forme d’une « Maison commune » paneuropéenne et qui suscitera l’intérêt de plusieurs dirigeants européens, notamment François Mitterrand. En décembre 1989, Mitterrand lancera le projet d’une « confédération européenne ». Comme l’expliquera plus tard Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères à l’époque, il s’agissait d'« offrir aux pays de l'Europe orientale, sans en exclure l'URSS, un cadre de coopération politique proprement européen, c'est-à-dire sans les États-Unis ». C’est, bien entendu, ce qui allait conduire à l’échec de ce projet. Les États-Unis firent pression sur l’Allemagne et, en 1991, déclenchèrent une intense campagne diplomatique et financière à destination des pays d’Europe de l’Est. Ils laissèrent entendre que le projet français visait, en réalité, à empêcher les pays d'Europe centrale et orientale d'entrer dans la CEE.

Les États-Unis ne voulaient pas d’une refondation de l’Europe sur des bases qui menaceraient leur leadership.

C’est une politique d’élargissement des structures euro-atlantistes, héritières de la guerre froide, qui prit alors la place du rêve européen « de l’Atlantique à l’Oural » que de Gaulle, dès 1959, avait évoqué.

Pour les Russes, la fin de la guerre froide ne procédait cependant pas d’une « victoire » de l’Ouest mais, bien plutôt, d’une volonté délibérée de l’Union soviétique de mettre un terme à des décennies de confrontation. Ils pensaient donc pouvoir pleinement prendre part à la reconfiguration du nouvel ordre européen.

Les États-Unis douchèrent ces espoirs en menant une politique de « roll back » (refoulement) à l’égard de la Russie en poussant à l’élargissement vers l’Est de leur zone d’influence euro-atlantiste et en déployant une politique de changement de régime au sein même des anciennes républiques soviétiques.

Bien avant Poutine, en 1994, Boris Eltsine avait prévenu les Occidentaux : si l'élargissement devait avoir lieu, « l'OTAN s'approchera des frontières de la Russie et on se retrouvera de nouveau avec deux blocs militaires opposés ». Il ajoutait que l'Europe risquait alors de plonger dans « une paix froide ». Il n’imaginait pas ce qui allait suivre : une vraie guerre au cœur de l’Europe impliquant des puissances nucléaires.

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, un seul discours s’est imposé dans la plupart des médias français. Poutine est l’« anti-Gorbatchev » qui veut restaurer l’empire auquel l’ancien secrétaire général avait (bien involontairement) mis un terme. Il s’agit là d’une réécriture de l’Histoire et d’un procès d’intention qui permettent d'esquiver la question de la responsabilité des Européens, bien incapables de se libérer de la tutelle américaine et d’élaborer par eux-mêmes un système de sécurité paneuropéen incluant la Russie.

Gorbatchev s’est éteint alors que les canons russes et ukrainiens tonnaient sur le Dniepr. Faut-il enterrer avec lui le rêve gaullien d’une Europe réconciliée de l’Atlantique à l’Oural ?

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Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

21 commentaires

  1. Lire aussi La Grande Désillusion (Globalization and its discontents) publiée En 2002 où Stiglitz (Prix Nobel d’économie) affirme que le FMI fait passer l’intérêt de son « principal actionnaire », les États-Unis, avant ceux des nations les moins favorisées qu’il a pourtant pour objectif de servir. En prenant comme exemple la crise asiatique de 1997 et la transition russe, Stiglitz soutient que les politiques préconisées par le FMI ont souvent aggravé les problèmes dont il avait à s’occuper, entraînant des conséquences sociales dévastatrices et un accroissement de la pauvreté.

  2. Je crains surtout qu’il ne faille enterrer celle de l’Oural à l’Atlantique davantage d’actualité et d’urgence!
    Cela ferait retomber les EU à la 3ème place ce qu’ils ne peuvent supporter d’où leur activisme pour nous détruire en nous coupant de la Russie…..mais le grand Turc veille….!!

    • Les US de Biden sont en décadence. Obésité, dissolution des moeurs, violence, et surtout désagrégation sociale sur fond de communautarismes et d’antagonismes ethniques. Le processus qui s’amorce avec le rapprochement de la Chine et de la Russie, c’est la « dédollarisation » du monde ! Rien de moins. Et l’UE veut s’accrocher à ce navire qui prend l’eau …. depuis la chute de Saïgon. La « victoire » contre le communisme ne doit pas faire illusion. La première cause de la chute de l’URSS ce sont les contradictions du communisme et de sa Nomenklatura. Les premiers vainqueurs du communisme c’est Jean Paul II et Lech Walesa. Sans oublier Wraclaw Havel Ian Palach Yves Montand et Costa Gavras et tant d’autres. Reagan ? Un acteur majeur, parmi d’autres. Et que reste-t-il de lui aux US ?

  3. « Les États-Unis ne voulaient pas d’une refondation de l’Europe sur des bases qui menaceraient leur leadership. » toujours eux – et partout ou se déclenche un conflit ils en sont l’origine, mais quand va t on enfin ouvrir les yeux et se libérer de cette suprématie malfaisante et toxique ?!

    • Quand nous aurons élu un Président qui reprendra la politique Gaullo- Mitterrandienne de non alignement et d’équilibre. Quand les Allemands ouvriront les yeux sur leurs contradictions et sur la protection (de plus en plus incertaine) qu’ils attendent des US. Quand tout le monde aura compris que Macron, comme une pendule à l’arrêt donne l’heure juste deux fois par jour, aura dit la vérité en diagnostiquant l’OTAN en état de mort cérébrale. EN exagérant à peine, l’OTAN n’est plus qu’un agent commercial des industries d’armement US.

  4. La géographie, l’histoire, le peuplement, la culture et la civilisation partagées militent pour ce vaste ensemble humain « de l’Atlantique à l’Oural », cher à de Gaulle. Mais voilà, son avènement signifiant la fin de leur domination sur le vieux monde, les États-Unis s’y opposent par tous les moyens, y compris la guerre fratricide en Ukraine jusqu’au dernier ukrainien.

  5. A quoi bon cet acharnement à vouloir fonder une Europe Fédérale si par ailleurs on sous-traite délibérément sa défense aux USA ?

  6. Pour assouvir le rêve gaullien, il faudrait un De Gaule. C’est à dire un dirigeant pétri de patriotisme et convaincu de la pertinence de poursuivre la mission historique de la France. Or depuis au moins Giscard tous les dirigeants que nous avons élus sont des disciples de Jean Monet. Ils abandonnent la souveraineté française au profit d’instances non élues dirigées par les recalés des gouvernements des différents pays d’Europe, et manipulés par les États Unis. Ceux-ci maintiennent une sorte d’AMGOT de fait (refusé par De Gaule au nom de la souveraineté française) en interdisant la construction d’une maison commune européenne qui effacerait leur influence sur notre continent. Je ne pense pas qu’un seul des dirigeants européens, à part peut-être Victor Orbàn, et surtout pas Macron qui veut effacer la France, soit assez lucide et courageux pour lancer cette révision, vitale pour l’Europe, sorte séisme géopolitique indispensable.

  7. Ne glorifions pas trop Gorbatchev. N’oublions pas qu’il était l’instigateur de l’attentat contre le pape Jean Paul II et que c’est l’intervention du Parti à Tchernobyl qui a provoqué la catastrophe pour avoir refusé de tenir compte des consignes de sécurité liées à l’effet Wigner, provoquant le gigantesque incendie que l’on sait avec toutes les conséquences cachées pendant deux jours.

  8. L’Europe !un gros tas de fainéants grassement payés et qui de plus est ne payent pas d’impôts. Comment peut-on accepter de tels organismes devenus mafieux ! car il y en a d’autres tout aussi véreux à travers les instances internationales et qui coûtent tous très cher à la société.

  9. A terme, la géographie et l’économie dicteront la politique européenne. Les gisements, les terres agricoles ne migrent pas,… Par contre, nos économies sont devenues fortement interdépendantes. Les atlantistes choisiront-ils de vivre derrière un nouveau « mur de Berlin » et voir se réduire leur monde globalisé uniquement aux rives de l’Atlantique Nord ? En se connectant à la route de la soie, le destin des européens devient eurasiatique… Puissions-nous en Europe occidentale avoir le courage et devenir politiquement plus créatif et plus mesuré qu’à Washington ! Bye,bye Biden avec son bric-à-brac America is back!

  10. J’aime assez cette idée lancée à l’époque par E M Remarque , écrivain allemand ayant combattu lors de la WW 1 qui proposait que les «  dirigeants « de tout poil , avides du sang surtout celui des autres , les « va t en guerre » les forts en gueule.. puissent régler leurs différends territoriaux, économiques , religieux rien qu’entre eux , vous les mettez en short , maillot de corps , pieds nus sur un ring avec chacun un gourdin et vous déclenchez le chronomètre
    Il y a fort à parier que les conflits seraient vite réglés à l’amiable …j’imagine notre «  Marquis «  asseyant de souffleter Poutine …….

  11. Si l’Europe ne veut pas disparaître, elle doit retrouver sa souveraineté et arrêter de vouloir imiter les USA. Les USA sont les héritiers de la culture Européenne et non l’inverse.

    • « vouloir imiter les USA », Quelle erreur cette imitation. Fort de constater que ces USA ont toujours été en guerre, guerre chez eux de la conquête de l’ouest contre les amérindiens, guerre de sécession (entre eux), guerre contre le Vietnam et la Coré du Nord, sont pas près à l’oublier, l’Afghanistan, plus récemment le moyen Orient, création de l’Otan qui ne devait pas faire un pas vers l’Est de l’Europe, et si tout cela n’aurait existé que serait actuellement l’humanité, peut être en surpopulation, mais qui peut accuser de crime contre l’humanité.

  12. Il faut se demander pourquoi tant de politiciens français semblent attachés à cet impérialisme US tout en connaissant les mauvaises conséquences.

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