« Où est Steve », ou l’art de l’agit-prop
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La matrice révolutionnaire est une machine à produire des martyrs, dont l'avantage redoutable est de désigner les méchants et de laver l'opposition de toute suspicion despotique, quand bien même les victimes de la répression ayant échappé à la mort seraient elles-mêmes devenues des Ubu sanguinaires. Ce scénario mélodramatique, manichéen, ne manque pas d'être joué quand l'occasion se présente, à la suite de quelque « dérapage ».
La fable martyrologique, par exemple, nous a fourni, le 5 décembre 1986, Malik Oussekine, tué par la police lors de manifestations contre la loi Devaquet, et, le 25 février 1972, celle du militant maoïste Pierre Overney (dit « Pierrot », c'est plus émouvant). On ne nous dit pas ce que Pierrot aurait fait aux côtés de son idole Mao Tsé-Toung.
« Où est Steve ? », clament les murs de Nantes. La noyade supposée de Steve Maia Caniço (et si ce jeune homme est mort, c'est effectivement très grave), le 21 juin dernier, à la suite d'une charge de la police vigoureuse, provoque là aussi ce vieux réflexe conditionné. Les auteurs des graffitis se rappellent l'assassinat d'Andreu Nin i Pérez, militant marxiste dissident, torturé et liquidé par les services staliniens le 20 juin 1937, dont on ne retrouva jamais le corps. « Où est Nin ? » demandaient les murs de Barcelone. Nin avait débuté sa carrière au syndicat anarchiste CNT. Les adeptes des « partys » de musique électronique se réclament, pour leur part, de l'idéologie libertaire.
Pour l'heure, le corps de la victime n'a pas été retrouvé. Plusieurs enquêtes ont été diligentées pour déterminer les circonstances exactes de cette mort. La Justice jugera de la gravité des faits et, s'il y a lieu, d'engager des poursuites. Rappelons, cependant, que, lors de cette sauterie « langesque » qu'est la « fête de la Musique », dont se passeraient les mélomanes, de nombreuses dérives surviennent, qui n'ont rien à voir avec l'art d'Euterpe. Des « sound systems » (des murs d'enceintes diffusant ce bruit syncopé assourdissant) avaient été installés partout, et des récalcitrants n'avaient pas respecté le terme horaire de cette défonce, ce qui a provoqué la charge policière sur un pont dangereux, car dépourvu de parapet.
Si l'on peut critiquer l'emploi de la violence abusive à l'encontre de certaines manifestations de gilets jaunes, ici, il faut faire la part des responsabilités. Pour autant, on ne manquera pas de constater à quel point les sectateurs d'une « musique » qu'on pourrait qualifier de « totalitaire », tellement elle s'impose de façon conquérante et impérieuse à ceux qui ne l'aiment pas, savent se parer des oripeaux de l'innocence. Philippe Muray, dans son Homo festivus, décrit bien cette fausse naïveté du disjoncté contemporain qui, sous le couvert de la « fête » et, pourquoi pas, de l'« amour », s'emploie à détruire, en maîtrisant, comme une force d'occupation, l'espace public, et celui, encore disponible, des cerveaux. Et allez contester leur omnipotence bien-pensante ! Vous passerez pour un odieux fasciste, un « réactionnaire ».
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