Paris-Nice, le mauvais roman de gare de Jean Castex
« Exceptionnellement, ce n’est pas votre chef de bord qui vous parle mais votre Premier ministre. C’est un honneur et un vrai bonheur d’effectuer avec vous ce trajet. […] je souhaite à chacun d’entre vous un agréable voyage… » Après être allé boire un café avec le patron, voir un film au ciné avec Roselyne, Jean Castex s’est surpassé. Notre Premier ministre, celui-là même qui vient d’exploser la préfectorale façon puzzle, et dont on nous a tant vanté l’accent du terroir et la proximité avec « les territoires » (comprenez la province), Jean Castex, donc, réalise « un vieux rêve d’enfant » : jouer, « pour de vrai », au chef de train.
C’est consternant.
Et notre Gaston Lagaffe de sous-préfecture d’en rajouter : « Nous rouvrons ce soir des choses qu’on avait peut-être un peu trop rapidement sacrifiées. »
De quoi parle-t-il ? Des pans entiers de l’économie française, obstinément ravagés depuis plus d’un an ? Non, il s’agit des trains-couchettes de nuit, « un mode de transport vertueux qui participe au désenclavement des territoires ».Territoires où l’on a supprimé depuis longtemps tous les services publics de proximité.
Ce qui met mal à l’aise, c’est cette nostalgie factice couleur sépia proposée comme une avancée vers le progrès, comme une solution économique pour un monde qui n’est pas enclavé mais fracturé, violent, où l’unité nationale d’une nation qui n’est plus homogène n’existe plus.
Un voyageur de ce même train ne s’y est pas trompé : « Ça a un côté un peu poétique et très exotique », a-t-il dit. On comprend bien, après la folie consumériste, après ces décennies matérialistes, ce besoin de ralentir.
Mais est-ce le rôle d’un Premier ministre de ne proposer que cette pauvre mise en scène aux Français, pour les faire se relever, se retrousser les manches, se projeter ou même, tout simplement, survivre après le traumatisme psychique, social et économique que son gouvernement leur a infligé ? Alors que la France est en proie à une des plus profondes crises de son histoire, est-ce vraiment le rôle d’un chef d’aller baguenauder douze heures durant dans un wagon de la SNCF ? Et pensent-ils, ses ministres et lui, qu’il suffit de rouvrir des terrasses de café, des musées et des cinémas et nous concéder ainsi l’usage furtif de quelques libertés indûment confisquées pour effacer l’ardoise ? En un mot, prennent-ils à ce point les Français pour des imbéciles ?
Il est vrai qu’en matière d’infantilisation des Français, la caporalisation de notre vie quotidienne depuis quinze mois a tout du chef-d’œuvre. Mais ce gouvernement est-il à ce point en décalage avec la vraie vie, celle des Français qu’ils sont censés gouverner, pour ainsi se mettre en scène de façon toujours plus ridicule, croyant ainsi nous montrer « qu’ils mouillent la chemise » ? Est-ce le niveau de débat public et de campagne électorale dont ils nous croient dignes ?
Car il n’y a pas que Castex pour ainsi jouer au Guignol. Blanquer qui joue à la marelle dans une cour de récré ou Darmanin qui manifeste contre lui-même « en soutien aux policiers » sont aussi coupables du même mépris, du même cynisme.
L’image de Dupond-Moretti qui colle des affiches à Arras, avec sa Rolex™ et ses boutons de manchette, participe du même mauvais jeu de théâtre. Entendons-nous bien : ce sont des accessoires qu’il a bien le droit de posséder et de porter, mais ce n’est pas exactement la tenue parfaite pour aller coller des affiches. L’effet, grossier, est indigne de celui que l’on a souvent désigné comme un as du prétoire.
À l’heure où rouvrent les théâtres, on aimerait qu’ils remballent leurs maroquins et qu’ils aillent pointer chez les intermittents.
Ce serait une vraie libération.
Longue vie au Paris-Nice ! pic.twitter.com/POHhMZ51wB
— Jean Castex (@JeanCASTEX) May 20, 2021
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